L'Exil, roman (23)
Un bruit. Un bruit qui fend la nuit. Un battement, un choc, un appel – fer contre pierre, souffle coupé. J’ouvre les yeux, j’entends : le vent roule sur la steppe, une plainte longue, étirée comme un fil de laine pris dans les épines. Mais dessous, autre chose. Des voix. Des pas.
Je sors. La mer noire s’agite sous la lune. Une lumière danse sur la colline. Une torche, deux torches, puis une dizaine, serpent de feu rampant dans l’obscurité.
— Qui va là ?
Personne ne répond.
Je marche. Le sable glisse sous mes pieds nus, grains râpeux, froids. Le silence bat contre mes tempes, un silence chargé d’attente, de menace.
Puis le cri éclate.
Un hurlement, guttural, déchiré. Et l’ombre se précipite, haletante, une forme humaine, silhouette tremblante, silhouette traquée.
— Aidez-moi !
Une femme. Des yeux agrippés aux miens. Sa tunique est déchirée, ses bras marqués de boue, de sang peut-être. Derrière elle, les torches, les cris, la course brutale d’hommes en chasse.
Elle tombe à mes pieds. Je tends les mains, mais le vent siffle, un rire acide, et déjà ils sont là. Des hommes aux visages taillés à la serpe, lances prêtes, haleine fauve.
— Étranger, dit l’un d’eux, ce n’est pas ton affaire.
La femme se relève, s’accroche à mon bras, souffle rauque, le sel de la mer sur sa peau.
— Elle a fui, dit un autre. La loi veut qu’elle paie.
Je regarde la femme. Elle tremble, mais ses yeux, non. Ses yeux brûlent d’une fièvre que je connais – celle de ceux qui refusent la cage, qui refusent l’oubli.
Et moi ?
Moi, Ovide, exilé, ombre effacée d’un poète mort à Rome, que suis-je ici ? Un homme seul dans un monde qui ne m’appartient pas.
Le vent tournoie, la mer monte, la lune observe.
Je lève la main.
— Elle vient avec moi.
Les torches frémissent. Un instant suspendu, une brèche dans le temps. Puis le rire éclate, sec, cruel.
— Fais ce que tu veux, Romain. Mais souviens-toi : ici, les dieux sont autres.
Ils s’éloignent, avalés par la nuit.
Je me tourne vers elle. Elle me regarde encore, debout, épuisée, mais vivante.
Derrière nous, la mer continue son chant, indifférente, éternelle.