L'Exil, roman (26)
Ovide, drapé dans sa toge fatiguée par les vents de la mer Noire, se tenait sur une hauteur rocheuse, aux côtés du roi Rhematelces. Devant eux s’étendait une plaine où les tentes des Gètes, coiffées de chaume, s’éparpillaient comme un troupeau en sommeil. Plus loin, la ligne sombre des Carpates se découpait dans l’azur déclinant.
Le roi, revêtu d’une tunique de laine brodée de fils d’or, porta la main vers l’horizon.
— Vois, Romain, la terre qui m’a vu naître et qui me survivra. Elle est rude et vaste, un monde de contrastes où l’hiver est un dieu cruel et l’été une ivresse. Ces hommes que tu vois, vêtus de peaux et de cuir, sont les fils du vent et des chevaux. Ils ne bâtissent pas de murailles, car l’âme d’un Gète est libre comme l’éclair dans le ciel.
Ovide, malgré le froid qui mordait ses membres, ne put s’empêcher d’admirer ces silhouettes farouches qui se mouvaient avec l’aisance des bêtes sauvages.
— Et ces cavaliers que l’on aperçoit là-bas ? demanda-t-il, désignant une troupe lancée au galop, les lances hautes.
Rhematelces sourit, une lueur de fierté dans le regard.
— Ce sont mes guerriers, plus prompts que les vents de Borée. Dès l’enfance, ils apprennent à monter comme on apprend à marcher, à tirer l’arc comme on respire. Vois-tu, pour un Gète, la vie est une chevauchée entre la naissance et la mort, un instant suspendu entre le ciel et la terre.
Un silence tomba. Seule la rumeur du vent et des sabots troublait le crépuscule. Ovide frissonna. Il n’était plus dans les jardins ombragés de Rome, entouré de statues et de marbre. Ici, tout était vif, rugueux, indompté.
— Et les dieux des Gètes ? murmura-t-il, comme pour conjurer l’inconnu.
Le roi leva son bras vers la voûte où les premières étoiles scintillaient.
— Nous croyons que Zalmoxis, notre maître caché sous la montagne, veille sur nous. La mort n’est qu’un passage, une porte que nous franchissons sans crainte, car nous savons que l’âme renaît. Voilà pourquoi mes hommes rient en combattant : ils n’ont pas peur de ce qui attend au-delà.
Ovide baissa les yeux, pensif. Lui qui avait chanté les jeux et les amours futiles de Rome se retrouvait face à une sagesse brutale et pure. Dans l’exil, il entrevoyait une autre forme de poésie, celle du vent dans les steppes, du galop des chevaux, du rire des guerriers défiant le destin.
Et peut-être, dans cette âpre splendeur, trouverait-il enfin un langage nouveau.