L'Exil, roman (28)
La mer Noire se tendait sous le ciel comme une lame usée, miroitante et lasse. Le vent d’est portait des murmures d’ailleurs, des parfums mêlés de sel et de terre brûlée. Ovide, drapé dans sa toge effilochée, arpentait la grève solitaire lorsque, au loin, il les aperçut.
Trois hommes en marche, silhouettes d’ombre contre l’incendie du couchant. Le premier, haut et droit, portait une robe d’un blanc lunaire, et sur son front l’éclat d’un diadème de cuivre. Le second, barbu comme un oracle, tenait entre ses mains un rouleau de papyrus scellé de cire noire. Le troisième, plus jeune, avançait pieds nus, un sceptre noueux enserré dans ses doigts.
Ovide sentit son cœur battre autrement, à la manière d’un vers suspendu, prêt à tomber dans le néant ou l’éclat.
Les hommes s’arrêtèrent devant lui. Celui au diadème inclina la tête.
— Es-tu celui qui a chanté l’amour et la métamorphose ?
Sa voix était une eau lente, fluide et grave. Ovide plissa les yeux.
— Qui êtes-vous pour connaître mes chants ? Ici, dans ce désert d’exil, qui se souvient encore d’Ovide ?
Le barbu au papyrus eut un sourire, et lorsqu’il parla, ses mots semblaient danser sur la frontière du silence.
— Nous sommes des fils d’Hermès et de Zoroastre. Nous venons de contrées que Rome ne saurait nommer, des lieux où le soleil se lève sans empire pour le saluer.
Ovide, frappé par ces paroles, contempla leurs visages. Il crut y voir l’éclat du désert et des cieux sans borne, la marque des hommes qui portent la connaissance comme d’autres un fardeau d’or.
— Pourquoi venez-vous à Tomis, ville oubliée où ne résonnent que les larmes d’un poète déchu ?
Le plus jeune, qui tenait le sceptre, s’avança et, d’un geste, traça un cercle dans le sable.
— Parce que tout exil est passage. Tout oubli cache un seuil. Toi qui crois être tombé hors du monde, tu es plus proche que quiconque du mystère.
Ovide, interdit, sentit une brise étrangère soulever son manteau. Les paroles de ces hommes étaient une musique ancienne, une langue qu’il n’avait jamais entendue mais qu’il reconnaissait pourtant, comme un écho d’avant sa naissance.
— Je ne suis qu’un homme brisé, un chantre d’un monde révolu. Que pouvez-vous m’apprendre que je n’ai déjà perdu ?
Le plus âgé déroula alors son papyrus. Sous la lumière mourante, les signes y dansaient comme des constellations.
— Que toute chute est une ascension déguisée. Que Rome n’est qu’un masque posé sur l’éternité. Que la poésie est plus qu’un jeu de rimes : elle est la clef du grand rythme qui fait trembler le ciel.
Ovide, saisi d’un frisson, contempla le cercle tracé dans le sable. L’espace d’un instant, il lui sembla qu’il n’était plus un exilé, mais un initié sur le seuil d’un mystère.
La mer chanta, et la nuit tomba.