L'Exil, roman (29)
Le plus jeune des mages leva son sceptre noueux et le planta au centre du cercle de sable. Un souffle invisible courut sur la plage, et soudain, l’air sembla plus dense, plus chargé d’une matière impalpable. Le ciel, auparavant limpide, s’ourla de nuées mouvantes, comme si le monde se repliait sur lui-même.
Ovide voulut parler, mais les mots moururent sur ses lèvres. Ses membres s’alourdirent. Le feu crépitant du couchant devint une brume dorée, puis un éclat liquide qui l’enveloppa tout entier.
Il chuta.
Non pas dans le vide, mais à travers le temps et la matière. Autour de lui, des formes indistinctes dansaient en cercles concentriques, silhouettes d’or et d’ombre, figures sans visages qui chantaient en une langue oubliée. Puis les ombres se dissipèrent, et il se trouva debout devant un immense escalier de marbre noir, suspendu entre ciel et abîme.
Au sommet du degré le plus haut, une figure l’attendait. Elle portait un manteau constellé de lettres mouvantes, alphabets inconnus qui se recomposaient sans cesse en une poésie infinie. Son visage, d’abord flou, se précisa.
C’était lui.
Un autre Ovide, plus ancien ou peut-être plus jeune, un reflet qui n’était pas un miroir mais une possibilité entre mille.
— Regarde, souffla la silhouette en tendant la main.
Alors Ovide vit.
Le monde s’ouvrit sous ses yeux, non plus comme un espace fixe mais comme une trame vivante, un tissage d’étoiles et de fleuves, de noms et de destinées. Il vit Rome, non plus de marbre, mais de mémoire — un rêve bâti sur des mythes plus anciens. Il vit les dieux, leurs formes se fondant les unes dans les autres, Zeus et Jupiter, Apollon et Mithra, Hermès et Thot, comme des masques changeants sur un visage unique.
Il vit sa propre vie déroulée dans un ordre nouveau : non plus linéaire, mais circulaire. Chaque vers qu’il avait écrit s’imbriquait dans un plus vaste poème, chaque exil était un retour.
Puis un grand vent souffla, et la vision s’effondra comme une vague sur la grève.
Ovide tomba à genoux.
Le sable sous lui était froid. La mer redevenue muette. Devant lui, les trois mages le contemplaient en silence.
Le plus âgé referma son papyrus.
— Tu as vu ce qui dort sous les illusions. Mais la vérité ne se donne pas, elle se cherche encore et toujours.
Ovide, encore tremblant, leva les yeux.
— Suis-je éveillé ?
Le plus jeune sourit, traçant un nouveau cercle dans le sable.
— Es-tu sûr d’avoir jamais dormi ?
Et dans la nuit, la mer Noire chanta à nouveau, comme un écho lointain de ce qu’il venait d’entrevoir.