L'Exil, roman (30)
Ovide resta longtemps immobile, les mains enfouies dans le sable froid. La nuit l’enveloppait, mais il lui semblait que l’obscurité n’était plus la même. Elle n’avait plus le poids d’un linceul ; elle était devenue un velours constellé de signes, une matière vivante.
Les mages l’observaient en silence.
Enfin, le plus âgé parla, sa voix semblable au ressac qui caresse les falaises.
— Tu as vu. Mais que vas-tu faire de cette vision ?
Ovide releva la tête. Il ne se sentait ni vaincu, ni brisé. Quelque chose en lui s’était ouvert, un œil que Rome avait toujours tenu clos.
— Je croyais que l’exil était une mort. Mais il est une métamorphose.
Les mages échangèrent un regard. Le plus jeune, qui tenait le sceptre, s’agenouilla face à lui.
— L’homme croit que son destin se mesure à la place qu’il occupe dans la cité des hommes. Mais il existe une autre cité, dont les murs sont faits d’étoiles et de mémoire.
Ovide ferma les yeux. Les vers qu’il avait jadis composés lui revenaient, mais ils lui semblaient aujourd’hui étrangers, comme les restes d’une langue ancienne qu’il avait dépassée. Que lui importaient les amours légères, les jeux et les séductions frivoles ? Il voyait à présent le grand tissu du monde, cette trame où chaque nom, chaque souffle, chaque exil trouvait sa place.
Il rouvrit les yeux, et son regard était neuf.
— Je ne suis plus le même homme, murmura-t-il.
Le mage au papyrus inclina la tête.
— Tu es enfin toi-même.
Alors, sans un mot de plus, les trois hommes se relevèrent et s’éloignèrent dans la nuit.
Ovide ne les retint pas. Il savait que leur passage n’avait été qu’une brèche, une faille dans le temps. Ce n’était pas eux qui importaient, mais ce qu’ils avaient révélé en lui.
Il se leva, et ses pas sur le sable ne lui semblèrent plus aussi lourds. L’exil n’était plus une condamnation, mais un passage.
Il marcherait. Il écrirait encore, mais autrement. Il chercherait une autre poésie, celle qui ne chante pas seulement les plaisirs fugitifs, mais la musique cachée des choses, l’ordre secret sous le chaos.
Car Rome n’était plus son centre.
Désormais, il appartenait à la cité invisible des poètes et des songes, celle qui ne connaît ni frontières ni empereurs.