L'Exil, roman (31)
Le vent se lève sur Tomis. Il descend des plaines de Scythie, un souffle affûté comme une lame, charriant la rumeur des steppes où les chevaux galopent sans maître. La mer, cette compagne indifférente, se cabre sous le fouet du froid. Elle ne chante plus ; elle gronde, elle menace, elle se referme sur elle-même comme une bête acculée.
Ovide frissonne. Ses doigts engourdis tentent de resserrer les peaux grossières dont il s’est vêtu, mais le froid s’insinue partout. Le feu qu’il a allumé dans son abri de fortune n’est qu’un brasier dérisoire contre l’hiver implacable. La neige, lourde et insatiable, s’entasse contre les murs de bois, s’infiltre par les fentes, efface les rares sentiers. Les portes du monde se ferment une à une, et dans cet exil de glace, il comprend que la solitude n’a pas de limite.
Les vivres s’amenuisent. Le pain est dur comme la pierre, l’eau devient prisonnière de la glace avant même d’atteindre ses lèvres. Il tente de chasser, piège maladroitement quelques oiseaux, mais ses mains tremblent, ses gestes sont lents. Il n’est pas un homme de la survie, il est un homme des vers et de la douceur romaine. Ici, la poésie ne nourrit pas. Ici, elle se tait sous l’impératif du corps affamé.
Un matin, il trouve un cadavre à moitié enfoui sous la neige. Un homme ? Une bête ? Le gel a tout figé, confondu chair et nature. Il détourne le regard, mais le spectacle s’imprime en lui comme une cicatrice. C’est ainsi que finissent les oubliés.
Les jours se fondent en une nuit perpétuelle. Il ne sait plus combien de temps s’est écoulé. Peut-être quelques semaines, peut-être une éternité. À Rome, les Saturnales doivent battre leur plein, et lui, naufragé du temps, s’accroche à quelques souvenirs d’ivresse et de lumière.
Un soir, alors que la tempête hurle plus fort que jamais, il croit entendre un cri dans l’obscurité. Un appel humain, noyé sous les rafales. Il hésite, le doute le ronge. Est-ce un homme ou un piège tendu par les esprits errants de la steppe ? Il sort malgré tout, vacille sous la morsure du vent. La neige l’aveugle, le fouette comme un maître cruel. Il avance, trébuche, appelle à son tour.
Silence.
Il comprend trop tard que personne ne l’attendait. Il n’y avait pas de voix, pas de détresse, seulement l’écho de sa propre solitude.
Là, au milieu de la plaine glacée, il sent que l’exil n’est pas seulement l’absence d’un lieu ; c’est l’effacement d’un nom, d’un homme, d’un souvenir.
Rome l’a banni. Le monde l’oublie. Et l’hiver, patient, veille sur sa disparition.