L'Exil, roman (42)
Ovide marche sur la grève noire du Pont Euxin, mais le sable n’est plus sable—il est cendre et sel, la poussière d’un empire effondré. Chaque pas qu’il pose dissout un peu plus son ombre, comme si la matière elle-même le rejetait. Il sent en lui un lent délitement, une transmutation secrète, obscure.
La mer est un miroir de mercure, sans fond, sans fin. Les vagues chuchotent en une langue oubliée, un murmure d’oracles dissous dans l’eau noire. Ovide écoute. Il sait que l’exil n’est pas un lieu, mais un état, un creuset où l’âme se consume pour renaître autrement.
Son corps devient léger, vidé de substance. Ses mains ne sont plus que des traces d’encre suspendues dans l’air glacé. Son souffle se fait brouillard d’argent, s’enroule autour de lui en volutes alchimiques. Il devine en lui le travail secret des éléments : dissolution, calcination, coagulation. Il est matière en mutation, chair en dissolution.
Le ciel s’ouvre comme une plaie de lumière. Un œil d’or et d’azur s’y déploie, irradiant des éclats cristallins. Une force l’appelle, l’attire hors du poids du monde. Son exil s’achève ici—non pas par un retour, mais par une ascension.
L’ancien poète se délite en vapeurs blanches. Sa chair devient fumée, puis pure essence. Il se fond dans l’éther, traverse la peau du réel. Ses pensées s’inscrivent sur le firmament, s’agrippent aux constellations comme des glyphes alchimiques.
Enfin, il comprend : l’exil était le feu secret, la blessure initiatique. Il ne fut jamais banni—il fut transmuté. Son nom, dissous dans la lumière des astres, palpite encore, invisible et éternel.
Il n’est plus homme, ni ombre, ni poussière. Il est l’or subtil, l’écriture cosmique, la poussière rouge des étoiles en fusion.