L'Exil, roman (45)
La mer s’est renversée. L’eau n’est plus liquide, mais une faille ouverte dans la peau du ciel. Des poissons fossiles dérivent dans l’air, les écailles pétrifiées de sel et de mémoire. Ovide marche, mais il n’y a plus de sol : seulement une pulsation obscure, une matière évasive qui respire sous ses pieds comme un livre dont les pages frémissent.
Il est l’encre et le vent. Il est la cicatrice d’un alphabet que nul ne sait encore lire.
Autour de lui, la lumière s’effrite en tessons de silence. Il voit des colonnes inversées, des temples suspendus, des villes fantômes où les statues saignent par les yeux. Chaque pas qu’il fait les éloigne et les rapproche à la fois. Est-ce un exil ou une immersion ?
Il lève la main. Sa peau est du papier en combustion lente. Des vers s’échappent de lui, flottent un instant avant d’être absorbés par l’obscurité. Ovide comprend qu’il ne parle plus—c’est le monde qui l’écrit, syllabe après syllabe, avant de le déchirer dans la marge du temps.
Une entité approche. Ce n’est plus un dieu, ni un homme, ni même une idée. C’est une absence ciselée dans la matière du réel, une faille où pulse une lumière inarticulée. Elle n’a pas de nom, seulement un rythme, une respiration cosmique qui résonne dans ses os fendus.
— Tu n’as jamais existé, murmure-t-elle sans bouche. Tu étais une ébauche, une hésitation du monde. Mais maintenant, tu es prêt.
Le ciel se courbe. Les étoiles tombent vers lui en filaments d’os et de braise. Il les traverse, ou bien elles le traversent. Il devient fil d’or tissé dans la trame du néant. Il devient battement sourd dans l’écho de l’univers.
Il n’y a plus d’exil, plus de Rome, plus de nom. Seulement un reste de feu, une cendre suspendue dans le tissu noir du ciel.
Et pourtant, dans le vide, quelque chose persiste.
Un éclat infime.
Un murmure fragmenté.
Un poème qui refuse de mourir.