L'Exil, roman (51)
Scène : Une nuit d’exil, Ovide rêve d’une rencontre impossible. Devant lui, Auguste trône dans une salle aux colonnes d’ombre. Des figures spectrales émergent des ténèbres : Platon et Aristote. Le débat commence.
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AUGUSTE
Poète, tu as offensé Rome. Crois-tu que l’art t’élève au-dessus des lois ?
OVIDE
Les lois sont-elles justes si elles condamnent l’homme au silence ? Ai-je péché pour avoir chanté la liberté de l’amour ?
AUGUSTE
La liberté… Un mot doux aux oreilles mais dangereux dans les faits. Rome ne tient que par la discipline.
OVIDE
Mais si le pouvoir étouffe la parole, n’étouffe-t-il pas aussi l’âme du peuple ?
PLATON (émergeant des ombres)
Il y a le pouvoir du philosophe-roi, qui gouverne selon la vérité, et celui du tyran, qui ne cherche que son propre intérêt. Auguste, sous quel visage te reconnais-tu ?
AUGUSTE
Je suis le garant de l’ordre. Si Rome vacille, l’anarchie dévorera le monde.
ARISTOTE
Mais l’ordre n’a de valeur que s’il sert le bien commun. La cité est une œuvre de raison, non une cage d’airain.
OVIDE
Et le poète, alors ? Quelle place pour lui dans votre cité idéale ?
PLATON
Un poète trop libre est un séducteur d’âmes, un corrupteur d’harmonie.
OVIDE
Alors Rome bannit l’imaginaire, comme elle m’a banni moi ?
AUGUSTE
Rome bannit ce qui menace son unité. Tes vers insouciants éveillent des désirs qui défient la morale.
ARISTOTE
Mais n’est-ce pas le propre de l’art d’explorer toutes les dimensions de l’âme humaine ? Un État fort n’a pas peur des rêves, car il sait les canaliser.
OVIDE
Et si l’Empire craignait non mes vers, mais ce qu’ils révèlent : un monde où le désir et la pensée échappent à tout pouvoir ?
AUGUSTE
Alors ce monde n’a pas sa place sous mon règne.
PLATON
Et pourtant, Auguste, crois-tu que la force seule suffira à bâtir l’éternité ?
(Ovide se réveille. Le vent souffle sur Tomis. Auguste, Rome, les philosophes ne sont plus que brume. Seul demeure l’exil, et l’écho d’un débat sans réponse.)