L'Exil, roman (52)
Ovide avance dans la cendre, pieds nus sur les restes d’une cité qui n’a plus de nom. Les colonnes sont des os brisés, les temples ne murmurent plus que du silence. Ici et là, des statues renversées dorment dans la poussière, effacées par le temps comme des vers oubliés d’un poème inachevé.
Sur le Forum désert, un trône vide. Un aigle mort à ses pieds.
Puis vient Auguste.
Il n’a plus la stature du Prince. Son manteau impérial est effiloché, son diadème s’est terni. Ses yeux, caves, cherchent dans la nuit une lumière qui ne vient plus. Il parle d’une armée sans visage, d’envahisseurs surgis des marges du monde, où la carte se brouille et où la mer s’efface. « Ils sont venus sans crier, dit-il, et le Capitole s’est tu. »
L’Empereur s’en va. Il ne fuit pas, il s’efface. Son ombre se dilue dans la brume du Tibre. Ovide reste.
Il prend la couronne laissée sur le marbre fendu et la pose sur son front. Rome n’est plus un empire, Rome est un poème. Il convie les rêveurs, les exilés, les philosophes égarés dans les couloirs du temps. Ils bâtissent une ville de mots et de musique, une cité d’or et d’éther où la beauté remplace la loi.
Les édits sont des odes.
Les jugements, des alexandrins.
Les guerres, des joutes d’épîtres.
Mais le vent souffle sur cette Rome fragile, et Ovide le sait. Il sent sous ses doigts le frémissement du néant. Une ville ne se construit pas avec des rimes, et les murailles de vers ne résistent pas aux tempêtes du réel.
Alors il veille, le dernier empereur-poète, dans son palais aux colonnes d’ivoire. Il scrute l’horizon où rôde l’armée sans nom. Peut-être que déjà, dans l’ombre, Auguste rit doucement, attendant le moment où l’Histoire reprendra ses droits.