L'Exil, roman (54)
Dans la cité des poètes, sous un portique de marbre où danse la lumière, Ovide reçoit Pythagore. Le philosophe est là, vêtu de blanc, son regard limpide traversant les âges. Il parle peu, mais son silence est déjà un enseignement.
OVIDE
Tu es revenu du passé comme moi, mais non par l’exil. Dis-moi, maître des nombres, quelle est cette étrange alchimie qui fait qu’un homme puisse renaître sous d’autres formes ?
PYTHAGORE
Tout change, rien ne meurt. L’âme voyage comme l’eau, prenant mille visages sans jamais s’éteindre. J’ai été guerrier, poète, peut-être même poisson ou étoile.
OVIDE
Et pourtant, Rome est en ruines, et nos noms s’effacent. Quel est le sens d’une éternité qui oublie ceux qu’elle transporte ?
PYTHAGORE
L’éternité ne s’inquiète pas des noms. Ce que nous fûmes, nous le serons encore, sous d’autres ciels, dans d’autres langues. Ce dialogue, nous l’aurons ailleurs, sous d’autres visages. Peut-être déjà l’avons-nous eu, dans une cité qui n’existe plus.
OVIDE
Alors cette Rome que j’ai bâtie de vers, ce règne où l’art est loi… n’est-ce qu’un mirage ?
PYTHAGORE
Toute chose est un mirage, et pourtant chaque chose est réelle. Rome tombera, mais elle renaîtra. Aujourd’hui, elle vit en toi, demain elle vivra en un autre. Peut-être qu’un jour un homme la rêvera à nouveau, croyant l’inventer alors qu’il ne fera que s’en souvenir.
OVIDE
Si tout se répète, si tout revient, alors y a-t-il un moyen d’échapper au cercle ?
PYTHAGORE
Il n’y a pas d’évasion, seulement la compréhension. Celui qui voit le cycle en pleine conscience ne le subit plus, il l’accompagne. L’éternel retour n’est pas une prison, mais une danse.
Ovide reste silencieux. Autour d’eux, la cité frémit. La lumière s’allonge, le vent porte des bribes de vers. Peut-être, se dit-il, que ce dialogue a déjà eu lieu mille fois. Peut-être que déjà il s’efface, se reforme, ailleurs, dans une autre Rome, sous un autre ciel.