Le dernier rempart

Les Cendres de l’Occident

L’Europe n’était plus qu’un amas de ruines. Les villes n’étaient plus que des squelettes de béton, rongés par les incendies et le temps. Les rivières charriaient des cadavres, et les routes étaient désertes, hantées par des survivants sans espoir.

Dans ce chaos, une poignée de lieux demeuraient intacts : les monastères catholiques. Pourquoi ? Nul ne le savait vraiment. Les bombes les avaient évités. La peste les avait contournés. Même les pillards, par un effroi mystique, ne s’y aventuraient pas.

C’est ainsi que Frère Augustin, un moine du monastère de Saint-Gildas, vit arriver un homme, un étranger couvert de poussière, au seuil de leur abbaye. Il était à bout de forces, les lèvres craquelées, les yeux fous.

— Pitié… laissez-moi entrer…

Augustin hésita. Il n’était pas maître des lieux. Mais le silence pesant des autres moines, postés derrière lui, semblait signifier une réponse implicite.

— Nous ne refusons l’hospitalité à personne, répondit-il enfin.

L’homme s’effondra sur le seuil, inconscient.


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 L’Apocalypse et le Verbe

L’étranger s’appelait Daniel. Lorsqu’il se réveilla, il raconta ce qu’il avait vu : des villes entières devenues folles, des foules dévorées par la famine et la guerre, des cultes nouveaux surgis des ténèbres, vénérant la destruction.

— Mais ici… murmura-t-il. Pourquoi ici, c’est différent ?

Frère Augustin lui répondit avec calme :

— Parce que nous avons le Verbe.

Daniel ne comprenait pas. Les moines, eux, continuaient leur vie immuable, priant, travaillant la terre, chantant les psaumes. Mais plus il restait, plus une sensation étrange l’envahissait : ici, le temps ne s’écoulait pas comme ailleurs.

Une nuit, il erra dans les couloirs et atteignit la bibliothèque du monastère. Des milliers de livres dormaient là, intacts. À la lueur des bougies, il tomba sur un texte ancien, écrit à la main :

"Tant que le Verbe sera préservé, le Mal ne pourra régner entièrement sur la Terre."

C’était donc cela ? La Parole sacrée était une barrière contre le néant ?

Soudain, un cri déchira le silence.


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L’Assaut du Néant

Les portes du monastère tremblaient. Au-delà des murs, une masse sombre s’était amassée. Des silhouettes hurlantes, déformées, mi-hommes, mi-démons, griffaient le bois sacré.

Les moines s’étaient rassemblés dans l’église. Ils chantaient. Pas par peur. Pas pour supplier. Mais pour affirmer l’existence du Verbe contre le chaos.

Daniel, lui, vacillait. L’ombre dehors l’appelait. Il entendait sa voix, suave et funèbre :

— Viens… Le monde n’est qu’un mensonge… Rejoins la vérité du Néant…

Il faillit céder. Mais alors, il vit Frère Augustin. Son visage était baigné de lumière, et dans ses mains, un vieux manuscrit brillait comme une flamme.

— Rien n’est plus fort que la Parole ! cria le moine.

Les chants redoublèrent. Une onde de clarté balaya les ténèbres. Les créatures hurlèrent, puis s’effacèrent comme une brume dissipée.

Le silence retomba. L’aube se leva. Le monastère tenait toujours.

Daniel tomba à genoux. Il comprenait désormais. L’Europe était perdue… mais il restait un espoir. Tant que les moines chanteraient, tant que les Écritures seraient lues, le Mal ne régnerait jamais totalement.

Il se releva et, sans un mot, prit place parmi eux.

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