Émile Burnouf et Chamberlain



Émile Burnouf (1821-1907), éminent philologue et indianiste du XIXe siècle, a profondément marqué les représentations européennes des religions orientales et des origines indo-européennes. S’il est aujourd’hui une figure oubliée du grand public, sa pensée a néanmoins laissé une empreinte durable sur les discours racialistes ultérieurs, notamment à travers les travaux de Houston Stewart Chamberlain. Burnouf peut, à ce titre, être considéré comme l’un des précurseurs intellectuels du "christianisme positif" promu par les idéologues nazis, qui cherchèrent à "aryaniser" le message évangélique en l’opposant radicalement à ses racines juives.


---

Une vision racialiste de l’histoire religieuse

Dans son ouvrage "La Science des religions" (1876), Burnouf établit une opposition structurante entre les religions des peuples indo-européens et celles des Sémites. Il y écrit :

« Le type de religion aryen est idéaliste et moral ; celui des Sémites est légaliste et autoritaire. » (La Science des religions, p. 51)



Et plus loin :

« Le Christianisme, tel qu’il a été enseigné par le Christ, est un produit de l’âme arienne, non pas de la tradition juive. Il faut distinguer entre le fondateur et la matière évangélique déformée par l’héritage juif. » (Ibid., p. 134)



Cette affirmation renverse la perspective traditionnelle : au lieu de voir le christianisme comme un développement du judaïsme, Burnouf propose une relecture où le "véritable" christianisme serait une révélation indo-européenne, altérée par le contact avec la tradition hébraïque.


---

L’aryanisme religieux comme projet de purification

Burnouf pousse cette logique encore plus loin dans Essai sur les origines de la mythologie indienne et grecque (1881), où il oppose la « spiritualité lumineuse » des Aryens à l’« obscurité terrestre » des religions sémitiques :

« Les Aryens ont conçu les dieux comme des forces ascendantes, éthérées, tandis que les Sémites les ont compris comme des puissances jalouses et dominatrices. L’idée même de salut, dans le christianisme originel, appartient à l’esprit aryen. » (Essai sur les origines…, p. 287)



Cette vision essentialise les cultures et les religions en fonction d’une grille raciale. Elle constitue un terrain fertile pour les constructions idéologiques ultérieures, qui chercheront à "nettoyer" le christianisme de tout élément juif – une ambition centrale du "christianisme positif" des nazis.


---

Houston Stewart Chamberlain, passeur idéologique

Houston Stewart Chamberlain (1855-1927), gendre de Richard Wagner et auteur de La Genèse du XIXe siècle (1899), se réclame explicitement de Burnouf. Dans son ouvrage, il le cite à plusieurs reprises, notamment pour appuyer l’idée que la race aryenne est seule porteuse de véritable spiritualité. Il écrit :

« Burnouf a montré, avec une clarté pénétrante, que le christianisme véritable, celui du Christ, est aryen dans son essence. C’est par la corruption paulinienne qu’il est redevenu judaïque. » (La Genèse du XIXe siècle, t. II, p. 362)



Chamberlain reprend ainsi la distinction burnoufienne entre un "Christ aryen" et une Église judéo-chrétienne corrompue. Cette idée sera directement intégrée dans l’idéologie nazie, notamment dans le Point 24 du programme du NSDAP (1920), qui promeut un "christianisme positif" débarrassé du "judéo-bolchévisme".


---

Une influence souterraine mais décisive

Burnouf n’a jamais prôné la violence ni participé à un mouvement politique. Mais ses constructions intellectuelles ont contribué à créer un imaginaire dans lequel la race, la religion et la hiérarchie spirituelle sont indissociables. En postulant que le message christique est d’essence aryenne, il a posé les bases d’un syncrétisme racialo-religieux que d’autres pousseront à l’extrême.

Ses travaux nourrissent ainsi, à travers Chamberlain et d’autres penseurs racialistes comme Alfred Rosenberg (Le Mythe du XXe siècle, 1930), une tentative de réécriture radicale du christianisme, à la fois antijuive et impérialiste.


---

Conclusion

La pensée d’Émile Burnouf constitue un jalon essentiel dans la généalogie intellectuelle du christianisme aryen. Par ses travaux philologiques, il a donné une légitimité savante à une lecture raciale de la religion, ouvrant la voie à une idéologie du salut réservé aux peuples supérieurs. S’il ne faut pas lui attribuer les dérives du nazisme, il est en revanche indispensable de reconnaître la part qu’il a prise à l’élaboration d’un mythe racial qui fut, quelques décennies plus tard, mis au service de la barbarie.





Posts les plus consultés de ce blog

Les confessions de l'ombre

La revenante

L'Exil, roman (60)