Le candomblé, sébastianisme des esclaves
1. L’attente d’un sauveur libérateur
Le sébastianisme, au Portugal et au Brésil, est cette croyance messianique selon laquelle le roi Dom Sebastião, disparu à la bataille d’Alcácer-Quibir (1578), reviendra un jour pour restaurer la grandeur du royaume et délivrer son peuple. Il est devenu le symbole d’un espoir de rédemption collective.
De manière parallèle, dans le candomblé, les esclaves africains, arrachés à leur terre et opprimés, ont investi les orixás (divinités africaines) d’une puissance protectrice et salvatrice. Ces orixás deviennent les figures de résistance et d’espérance d’un monde futur, où la justice serait rétablie — non par les armes, mais par les forces du sacré.
On pourrait dire que les orixás sont, chacun à leur manière, des "Dom Sebastião" — absents mais puissants, appelés à intervenir dans le destin du peuple fidèle.
2. Résistance mystique et subversion culturelle
Le sébastianisme a souvent été une forme de résistance symbolique à la domination espagnole, puis au désenchantement du monde moderne. De même, le candomblé a été un moyen de préserver et de recréer une culture interdite sous la domination coloniale et esclavagiste.
Sous des formes souvent déguisées (syncrétisme avec les saints catholiques), le candomblé a conservé vivantes des cosmogonies africaines, des rites de guérison et de puissance, et surtout l’idée d’un ordre spirituel supérieur au monde esclavagiste.
3. Mythification de la souffrance et promesse d’un monde inversé
Le sébastianisme repose sur une mythologie de l’attente, où le malheur présent est interprété comme le prélude à une transformation glorieuse.
Le candomblé aussi encode la douleur de l’exil, de la violence, mais en la transmutant à travers des rites, des chants, des transes — en une cosmologie de la survie et de la dignité. Il permet une relecture du destin, une promesse de réversibilité : l'esclave d’aujourd’hui pourra être, dans le monde des orixás, un initié, un roi, un maître du sacré.
4. Le candomblé comme messianisme afro-brésilien
Enfin, on peut considérer que le candomblé, en tant que système de sens et d’attente d’un ordre cosmique restauré, fonctionne comme un messianisme afro-descendant — où ce ne sont plus les figures européennes (comme Dom Sebastião) qui reviennent, mais les ancêtres, les esprits et les divinités africaines qui prennent possession du présent.
C’est donc un messianisme inversé, décolonisé, qui ne projette pas le salut dans un futur abstrait, mais l’incarne dans les corps en transe, dans le rythme des tambours, dans les forces invisibles du culte.