Le troisième royaume
Chapitre I – L’Appel de Jérusalem
2100. Le monde a changé, mais les plaies anciennes restent béantes. L’intelligence artificielle gouverne les flux économiques, les nations se fragmentent en technosphères, et l'humanité, plus connectée que jamais, se trouve paradoxalement plus divisée.
Le conflit israélo-palestinien, loin de s’éteindre, a dégénéré en une guerre urbaine permanente. Jérusalem, sanctuaire de trois religions, est devenue une ville-forteresse dévorée par les drones, les murs intelligents et les zones interdites. Aucun traité, aucune médiation n’a su faire taire les armes.
C’est alors qu’un homme surgit des brumes de la tradition.
Élu au terme d’un conclave exceptionnel tenu en orbite dans la station papale Sancta Ecclesia, le nouveau pontife prend le nom de Pie XIII. Ancien moine bénédictin, théologien cybernéticien et mystique visionnaire, il déclare, lors de son intronisation :
> « Là où les hommes ont échoué, l’Esprit triomphera. Il est temps que la chrétienté se lève, non pour dominer, mais pour ordonner. Que la paix revienne par le glaive sacré. »
Le mot est prononcé : croisade.
Une onde de choc parcourt le monde. Des catholiques d’Europe, d’Amérique du Sud et même d’Afrique rejoignent l’appel. Mais cette croisade est différente : les armées portent l’uniforme blanc du Vatican, les armes sont bénies, et chaque soldat jure de ne pas tirer le premier coup. Les drones sont remplacés par des moines-guerriers équipés de neurocuirs, les tanks par des convois sanctifiés.
Chapitre II – L’Installation du Royaume
En 2102, Jérusalem tombe pacifiquement après une série de miracles déclarés : un missile explose en plein vol sans raison, des guérilleros déposent les armes après des songes étranges, et une lumière inexpliquée enveloppe le Dôme du Rocher et l’église du Saint-Sépulcre simultanément.
Dans le silence des armes, Pie XIII proclame la création de nouveaux États latins d’Orient. Inspirés des modèles médiévaux mais réinventés, ces États sont administrés non par des seigneurs, mais par des ordres : les Hospitaliers transhumains, les Frères de la Paix Augmentée, les Sœurs de Marie-Machine.
La Nouvelle Jérusalem devient capitale d’une fédération sacrée. Les lieux saints sont confiés à des gardiens neutres — chrétiens, juifs et musulmans — réunis sous le serment du Mont des Oliviers, un pacte scellé dans l’ancien jardin de Gethsémani, retransmis dans tout le système solaire.
Mais les puissances terrestres observent avec méfiance. La Chine cyberconfucéenne dénonce une théocratie invasive. L’Amérique corporatiste y voit un retour à l'obscurantisme. Des groupes palestiniens exilés jurent de reprendre Al-Qods, tandis que certains Israéliens dénoncent une perte de souveraineté.
Pie XIII, imperturbable, cite saint Augustin :
> "Il faut parfois fonder la cité de Dieu sur les ruines de celle des hommes."
Chapitre III – Le Royaume de l’Entre-Temps
En 2107, le temps suspend son cours.
La Nouvelle Croisade, au lieu de semer le chaos, crée un ordre inattendu : les routes deviennent sûres, les réfugiés reviennent, les pèlerins affluent. Des écoles trilingues s’ouvrent à Gaza, des hôpitaux interreligieux à Bethléem. Même les anciennes bases militaires sont transformées en monastères cybernétiques.
Mais le pape vieillit. Ses dernières apparitions le montrent pâle, transfiguré, presque spectral. On murmure qu’il a vu l’ange de l’Apocalypse.
Avant de mourir, Pie XIII laisse une dernière bulle : « Regnum Interstitium », le Royaume de l’Entre-Temps. Il y prophétise que les États latins d’Orient ne sont ni un empire ni une utopie, mais une interstice sacré, un intervalle de paix entre deux âges de ténèbres.
À sa mort, les cardinaux refusent de lui donner un successeur.
La Croisade est terminée. Pas par les armes, mais par la création d’un royaume qui n’appartient ni au passé, ni à l’avenir. Un royaume suspendu dans le présent, comme une faille de lumière dans l’histoire du monde.