L'Exil, roman (62)



Il faisait froid sous la terre.
Un froid ancien, plus vieux que les catacombes, plus ancien même que la poussière qui collait aux murs comme une seconde peau. Dorian Banu descendit lentement les marches effondrées, la torche électrique vacillante dans sa main. Il n’avait rien dit depuis une heure. Le silence l’habitait.

Il était venu en Dobroudja pour fuir. Il ne savait pas quoi. Une rupture, une fatigue, une vie trop bavarde. Il avait pris un billet, une bourse de recherche, et maintenant il se tenait là, seul, sous les ruines effacées d’un monastère byzantin que personne ne voulait restaurer.

Une trappe sous l’autel s’était ouverte par hasard, sous ses doigts curieux. Et derrière, un escalier — d’abord sculpté, puis rongé, enfin informe.
Au fond, une salle ronde. Des mosaïques effacées. Une odeur de fer. Et au centre, sur une dalle de pierre, un objet : un livre.

Mais non.

Pas un livre.
Une chose qui ressemblait à un livre, mais qui semblait respirer.
Il était posé là, nu, sans reliure, sans titre, et pourtant intact. Un feuilletement de peau, d’encre et d’étrangeté. Chaque page paraissait flotter dans une lumière pâle. L’air autour était plus dense. Plus ancien.

Dorian s’en approcha. Son cœur battait trop vite.

Sur la première page, une seule ligne :

"Naso fui. Oblivio sum."
(« J’ai été Naso. Je suis oubli. »)



Il frissonna. Ce latin n’était pas classique. Il avait quelque chose de brisé, comme une langue de rêve. Les lettres semblaient bouger imperceptiblement. Il tendit la main, hésita. Puis il lut la deuxième page.

Et quelque chose entra en lui.

Ce n’était pas une lecture.
C’était une possession.

Des vers.
Des images.
Des douleurs.
Une neige.
Un poète.
Un exil.
Un amour.
Un monde qui se défait.

Dorian chancela. Les murs bougèrent. Ou peut-être était-ce son esprit. Il entendit un nom chuchoté tout près de son oreille, comme si le livre lui parlait.

Ovide.



Non.
Pas un nom.
Un appel.

Il lut une troisième page. Puis une quatrième.

Et il comprit — non par la raison, mais par une terreur sacrée — que ce qu’il tenait entre les mains n’avait pas été écrit pour être lu.

Mais pour être réveillé.





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