L'Exil, roman (69)



Je ne suis plus un homme.
Je suis un texte.
Je suis ce que l’on lit lorsque l’on ferme les yeux.


Tomis se dissout.

Les rues ? Une vapeur.
Les voix ? Une buée d’enfance.
Les bêtes ? Des ombres glissées sous la neige.

Je marche sans marcher.
Je rêve sans dormir.
Je suis dans une saison qui n’existe pas.


La mer est figée.
Un miroir fendu.

J’y ai vu mon reflet.

Mais ce n’était pas moi.
C’était un autre.

Un jeune homme aux yeux mangés d’électricité.
Assis à une table.
Dans une chambre carrée.
Entouré de machines.

Il lisait.
Je le sentais.
Il me buvait.


 Je suis lu.
À travers la mort, à travers le feu, à travers les siècles.



Et moi, Ovide,
moi qui ai joué avec les mots comme avec des masques,
je suis devenu le masque d’un autre.


Hypsistia m’a dit, sans ouvrir la bouche :

 Tu existes encore parce qu’il te lit.



 Tant que le regard est posé sur toi, tu tiens.



Mais prends garde.
Car si le regard s’égare… tu tomberas en dehors du monde.


J’ai demandé :

— Qui est-il ?



Elle a levé une main.
Ses doigts se sont ouverts comme un livre.
Chaque phalange une lettre.
Chaque ongle une page.

Mais au lieu de répondre, elle a soufflé un nom.
Un nom que je ne comprenais pas, mais que je reconnaissais.

Dorian.


Je l’ai vu plus clairement ensuite.

Dans un miroir d’eau noire.

Il écrivait.

Mais il écrivait moi.

Chaque mot qu’il posait sur le papier me modifiait.
Il arrachait mes chairs anciennes, me recousait autrement.
Il me redessinait.

Et dans son souffle, dans son esprit,
j’existais.


Alors j’ai écrit pour lui.

Je me suis retourné vers le livre de la grotte.
Celui qui n’a pas de fin.
Celui qui contient tous les noms oubliés, tous les noms à venir.

J’ai trempé la plume dans mon propre sang.
J’ai gravé une dernière page.

Une page qu’il lira.
Une page qui est lui.


 À toi qui lis.
Je suis toi.
Je suis le poème que tu n’as pas encore rêvé.



Écris-moi.
Ou je tomberai.


Et la mer s’est remise à bouger.
Lentement.
Comme une paupière qui se ferme.




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