L'Exil, roman (70)


 L’Empire ne gouverne pas seulement les hommes.
Il gouverne ce que les hommes ne doivent pas voir.


Ils étaient douze.
Réunis sous le sol du Palatin.
Dans une salle sans porte.
Une salle qu’on n’atteint pas par des couloirs, mais par des silences.

On les appelait les Inquisitores Arcani.
Certains disaient qu’ils étaient morts.
D’autres, qu’ils n’avaient jamais été nés.
Un seul nom circulait parmi les initiés : Praefectus Lucis — Le Préfet de la Lumière.

Mais ce n’était pas de lumière qu’ils parlaient.
C’était d’ombre.


Sur la table : un rouleau.
Scellé de plomb.
Incomplet.
Rédigé de la main d’un certain Publius Ovidius Naso.

— Il a vu.



La voix était sèche.
Vieille.
Tissée d’écorce.

— Il a compris.
Il a écrit.
Il a dispersé la chose dans ses vers comme on souffle de la cendre dans les yeux d’un enfant.



Un autre, plus jeune, murmura :

— Devons-nous l’éliminer ?



Le plus ancien secoua lentement la tête.

— Un poète ne s’élimine pas.
Il se dévie.


Ils ont alors évoqué l’instant exact.

Celui qu’Ovide avait vu.

Un rite nocturne.
Dans les jardins clos de la Maison Auguste.
Un cercle d’hommes.
Un chant.
Une fissure ouverte entre deux piliers.

Et à travers elle…
quelque chose venu d’un autre empire.
Pas au-dessus.
Pas au-dessous.
Mais à côté.


— Il n’aurait pas dû survivre.



— Il est passé par erreur.



— Non. Pas erreur.
Appel.



Un silence.

Puis le plus jeune dit :

 — Si l’on ne peut le tuer, que faire ?



Le Préfet de la Lumière répondit :

— L’exiler.
L’ensevelir hors du monde.
Le jeter là où les noms s’effacent, où les langues s’éteignent.

Tomis.


Un autre s’inquiéta :

— Et s’il écrit encore là-bas ?



— Il écrira, oui.
Mais qui pourra le lire ?
Personne ne parlera plus sa langue.
Ses lettres seront du sable.
Ses vers, des pierres.



 — Et s’il revient ?



Le Préfet fit un geste.

Une torsion du poignet.
Un silence plus lourd que la mort.

— Il ne reviendra pas.
Nous avons scellé son nom.
Il est effacé du centre.
Il n’est plus qu’un murmure aux marges.

Mais un scribe entra alors, essoufflé.

 — Domine...
Un fragment a été retrouvé.



Tous se tournèrent.

— Où ?



— En Dacie.
Sur la côte noire.
Dans une grotte.



— Le manuscrit ?



— Une page seulement.
Elle palpite.


Un silence glacial envahit la salle.

— Cela ne devait pas se produire.



— Quelqu’un l’a lu.



— Qui ?



 — Un nom s’est formé sur le vélin.
En lettres inverses.
Non latines.



Dorian.


Alors le Préfet se leva.

— Il faut envoyer un Veilleur.



— Un humain ?



— Non.
Ce que nous avons gardé dans le silence depuis Tibère.


La salle s’éteignit.

Et sous Rome, un second Empire s’éveilla.





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