L'Exil, roman (72)
Ce n’est pas moi qui vais vers lui.
C’est ce lieu en moi qui retourne vers sa source.
Dorian s’est levé un matin,
et la ville n’était plus la ville.
Les passants ne le voyaient plus.
Ou trop.
Certains détournaient les yeux.
D’autres murmuraient en latin.
Mais un latin souterrain, rêvé, fragmenté.
Le tram passait sans arrêt.
Les journaux contenaient des lettres inconnues.
La pluie tombait en lignes de vers.
Il a tout quitté.
Sans lettre.
Sans appel.
Il a pris un carnet, un manteau,
et ce qu’il restait du manuscrit.
Un fragment.
Une page.
Mais qui brûlait à travers la poche,
comme un petit dieu farouche.
Il a suivi la mer.
D’abord Constanța.
Puis plus loin, plus bas.
Là où les cartes cessent d’être précises,
où les villages n’ont plus de nom,
où les routes sont faites de sel et d’oubli.
Chaque nuit, un rêve.
La grotte.
Toujours la même.
Pas un lieu.
Un pli dans le monde.
Un gémissement d’encre entre deux pierres.
Et lui.
Ovide.
Assis.
Ou non.
Peut-être debout.
Peut-être dissous dans le silence.
Il n’écrivait plus.
Il était l’écriture.
Dorian marchait.
Le froid ne mordait pas.
Il s’était détaché du temps.
Son corps suivait à peine.
Il était devenu texte en mouvement.
Un vieux pêcheur l’a vu passer.
Il s’est signé trois fois.
Il a dit :
— Celui-là cherche ce qui n’est plus à chercher.
Une femme l’a hébergé une nuit.
Elle a murmuré :
— Tu vas vers la bouche du monde.
Là où les mots furent avalés.
Et puis un matin,
là où la falaise s’ouvre comme une plaie,
il l’a trouvée.
Pas une grotte.
Un effondrement.
Ou un œil.
Un œil dans la terre.
Le vent ne soufflait pas.
Il rentrait.
Attiré,
absorbé,
comme l’ultime souffle d’un dieu qu’on aurait oublié de vénérer.
Il a posé la main contre la pierre.
Elle était tiède.
Puis la pierre a parlé.
Sans son.
Mais avec le mot exact.
Celui que Dorian n’avait jamais connu,
et qui était son vrai nom.
Alors il est entré.
Et derrière lui,
la mer s’est tue.