L'Exil, roman (74)
Le lecteur avance.
Le poète l’attend.
Mais entre eux deux : la mer, le temps, et la mémoire en feu.
Il pleuvait des cendres.
Ou de la neige.
Ou des mots.
Dorian ne savait plus.
Le vent hurlait dans une langue ancienne —
mais c’était peut-être lui,
le vent,
qui lisait à voix haute un poème enfoui.
Il marchait.
Les jambes sanglées de sel.
La gorge pleine de noms éteints.
Les poches brûlantes.
Et la grotte était là.
Fermée.
Puis ouverte.
Puis déjà franchie.
Ovide lève les yeux.
Il ne dit rien.
Il reconnaît.
Pas le visage.
Mais la brûlure.
Cette même fièvre qui, jadis, l’avait poussé à écrire ce qui ne devait pas l’être.
Le silence dure un siècle.
Ou une respiration.
Et Dorian tombe à genoux.
Il ne pleure pas.
C’est l’air autour de lui qui tremble.
Il parle enfin.
— Je suis venu.
Ovide acquiesce.
Une larme noire coule.
— Tu es le dernier.
— Le dernier quoi ?
— Le dernier qui porte.
Le dernier qui sait.
Il lui tend le fragment.
Le morceau du manuscrit.
La page que Rome voulait effacer.
Et Ovide sourit.
— Tu l’as gardée.
— Elle m’a gardé.
Un feu s’allume entre eux.
Ni bois, ni flamme.
Un feu d’encre.
Les mots qu’ils n’ont pas dits dansent au-dessus.
Dorian comprend alors que tout ce qu’il a vécu —
les visions, le veilleur, les errances —
tout était écrit d’avance.
Dans un texte qu’il vient seulement de commencer à lire.
— Pourquoi moi ?
demande-t-il.
— Parce que tu m’as cru.
Même après la mort du sens.
Même après la mort du style.
Même après le silence.
Ils s’assoient.
Face à face.
Et entre eux, le manuscrit se recompose.
Non pas par les mains,
mais par la mémoire partagée,
par le souffle double.
Chaque mot retrouvé redessine une partie du monde.
Chaque vers prononcé recoud un morceau du réel.
— Le Veilleur arrive, dit Dorian.
Ovide hoche la tête.
— Il vient toujours quand un poème s’ouvre.
— Peut-on l’arrêter ?
— Non.
Mais on peut l’égarer.
Lui faire croire que le texte est clos.
Il prend la plume.
Il écrit une dernière ligne.
Puis tend le calame à Dorian.
— À toi maintenant.
— Pour écrire quoi ?
— Pour écrire ce qui reste.
Et dehors, sur la mer, un pas invisible fend les vagues.
Le monde commence à se tordre.
Mais dans la grotte, une autre réalité prend forme.
Pas une fuite.
Pas une fin.
Mais une renaissance obscure,
comme un œuf fêlé dans les ténèbres.
Un chant s’élève.
Et personne ne sait si c’est le début ou le dernier mot.