L'Exil, roman (73)

Il n’y avait pas de lumière.
Mais tout était visible.


Il y a d’abord ce souffle.
Ce silence qui n’est pas vide, mais plein, saturé d’anciens noms.
Une vibration, comme si l’air récitait à voix basse un poème qu’on n’a jamais écrit.

Dorian entre.
Mais il n’est plus certain d’être Dorian.
Son nom vacille dans sa gorge.
Sa mémoire s’effeuille, feuille par feuille, comme un manuscrit rongé par la mer.


La grotte est vaste, oui.
Mais aussi minuscule.

Elle contient l’infini — et tient dans un grain de sable.

Elle ne ressemble à rien.

Ou plutôt :
elle ressemble à tout ce qui a déjà été vu dans un rêve oublié.


Quelqu’un est là.
Pas tout à fait un homme.
Une forme assise.
Ou bien une ombre dressée.

Ovide.
Ou ce qu’il reste d’Ovide.
Ou ce que Dorian projette d’Ovide.

Mais il sait.
Il sait que c’est lui.



Il s’avance.

Mais les pas n’ont pas lieu.
Chaque mouvement déclenche une pluie de mots morts,
des lettres tombent du plafond, des fragments de vers latins scintillent dans l’air.

Un papyrus s’ouvre.
Sans qu’on le touche.

Les pages tournent seules.
Mais à rebours.
Le poème remonte vers sa source.

— Te novi.



La voix ne vient pas du corps.

Elle vient du sol.
Des parois.
De la pierre.

Elle le traverse.

Dorian chancelle.

 — Je te connais.
Je t’ai écrit.


Une torche s’allume d’elle-même.
Ce n’est pas une flamme.
C’est un souvenir de flamme.
Elle éclaire sans brûler.

Et Dorian voit alors :
sur les murs, des milliers de vers.
Certains en latin.
D’autres dans des langues inconnues.
Certains écrits à l’envers.
Certains vivants — ils bougent, respirent, clignotent.



Ovide se lève enfin.

Mais sa forme n’a plus de contours.

Il est devenu presque transparent.
Son visage est un palimpseste.
On y voit d’autres visages :
un exilé,
un prophète,
un lecteur,
un enfant,
peut-être Dorian lui-même.


— Tu es venu.
Parce que je t’ai laissé un fragment.



Mais le fragment était toi.



Dorian s’approche.

Il veut parler.

Mais sa langue est pleine de sable.

Alors il pense.

Et Ovide répond à sa pensée.

— Ce que tu lis t’écrit.
Ce que tu écris te lit.



Tu es le témoin.
Tu es le lien.


Le sol tremble.

Lentement.
Comme si une entité approchait de très loin,
mais à travers les couches du réel.

 — Il est là, dit Ovide.

Le Veilleur.



Il vient pour refermer.


Dorian panique.

— Que faire ?



Ovide lui tend une plume.

Mais elle est faite de lumière figée.

— Continue.



Écris ce que je ne peux plus écrire.



Tant que le poème demeure ouvert, il ne peut entrer.


Dorian prend la plume.

Le rocher s’ouvre un peu plus.

Et au-dehors, on entend un son sourd.
Une langue inconnue.
Un pas qui efface les pas.


 — Tu n’es plus lecteur, murmure Ovide.



Tu es devenu seuil.



Et Dorian commence à écrire.

Mais il ne sait plus s’il écrit un texte…

…ou un monde.





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