L'Exil, roman (76)

 La cité renaît lorsque les mots lui redonnent la voix.
Dans le verbe retrouvé, Rome survit et se fait toujours l’éternelle.




Dorian émerge de la grotte, chargé d’un souffle incandescent.
La mer Noire derrière lui, il laisse derrière le murmure des ombres et le frisson du Veilleur.
Ses pas l’entraînent, inexorablement, vers une Rome qui se métamorphose dans l’écho de son rêve.

Sur la route, le paysage se voile d’un crépuscule perpétuel,
où les statues antiques semblent se pencher, écoutant les vers inachevés que le vent emporte.
Chaque pierre porte en elle un fragment oublié d’un poème antique,
et chaque ruelle se fait relique d’une mémoire entaillée par le temps.



Arrivé à Rome, il découvre une ville effleurée par l’aube d’un renouveau secret.
Les temples délabrés vibrent sous le chant discret d’une résistance littéraire,
tandis que dans l’ombre des arcs et des basiliques,
des mots se murmurent, inscrits sur des murs de pierre —
des vers redécouverts par ceux qui n’ont pas renoncé au miracle du verbe.

Dorian pénètre alors dans un amphithéâtre, vestige d’un monde romain,
où l’herbe a repris ses droits sur la pierre, et les spectres du passé se font auditeurs silencieux.
Assis au centre, il sort la plume d’Ovide, toujours trempée dans l’encre féconde
que lui-même et le poète ont scellée dans l’instant où le Veilleur chancela.

 « Écris, pour que Rome ne s’efface pas… »
murmure-t-il, son souffle se mêlant aux échos des légions disparues.




Dans cette Rome réinventée, le verbe se fait rituel.
Les citoyens, éveillés d’un sommeil imposé, se mettent à réciter des stances oubliées,
transformant les places en chœurs, les fontaines en fresques d’images mouvantes.
Les mots, tels des feux follets, traversent l’air —
un pacte entre l’ombre du passé et la lumière d’un futur incertain.

Les murs du Capitole, jadis muets, se recouvrent de calligraphies éphémères,
traces d’un dialogue entre l’histoire et le présent,
entre l’exil d’Ovide et la mémoire d’un peuple qui refuse l’oubli.



Et alors, dans un ultime sursaut, Dorian lève les yeux vers le ciel.
Il voit dans les nuages des fragments de vers,
des allusions aux amours, aux luttes, aux passions éternelles de Rome.
Il comprend que la cité ne se reconstruit pas uniquement par la pierre,
mais par le souffle partagé d’un poème qui jamais ne finit d’être lu.

 « Rome, toi qui fus écrite dans le sang des poètes,
tu te relèves maintenant, portée par nos voix
qui refusent la censure du temps et l’ombre du Veilleur. »




Dans ce retour à Rome, il n’y a pas de triomphe final,
mais une continuité fragile, un pacte immuable entre le passé et l’avenir,
entre la liberté d’écrire et l’oubli imposé.
Dorian laisse derrière lui la trace d’un vers,
la trace d’un souffle qui, comme l’âme d’Ovide, ne saurait jamais être effacé.

Et alors que la ville s’anime d’un murmure nouveau,
l’écran du temps se fait écriture.
Un dernier mot s’inscrit sur le parchemin du destin,
semblable à une caresse :
une promesse que, tant que le verbe vivra,
Rome, éternelle, renaîtra à chaque page.





Posts les plus consultés de ce blog

Les confessions de l'ombre

La revenante

L'Exil, roman (60)