L'Exil, roman (83)
Les jours passaient comme des processions lentes, et Fabia, debout dans sa propre vie, n'entendait plus que le bruit de son attente.
Cela faisait vingt-trois jours depuis qu’elle avait remis le rouleau à Aelius. Vingt-trois soirs où elle avait veillé tard, les doigts crispés sur le bois de sa chaise, tendue vers un messager qui ne venait pas.
Rien.
Pas un mot.
Pas un souffle.
Pas même un refus.
Rome, toute entière, semblait s’être recouverte d’une fine pellicule d’indifférence, comme une laque sur le bois mort.
On ne lui parlait plus d’Ovide. Dans les salons, on changeait de sujet quand elle entrait. Marcella, d’habitude si attentive, l’avait saluée avec cette courbure du cou qu’ont les femmes prudentes devant une cause perdue.
Et le pire — le pire — c’était que même Crispus s’était tu.
Il ne la provoquait plus. Ne lançait plus de traits. Il avait compris : Fabia était seule. Inutile de frapper ce que le silence érode déjà.
Un matin, dans le forum, elle croisa Lucilia.
— Vous êtes pâle, Fabia. Vous devriez quitter Rome quelques semaines. La mer calme les pensées agitées.
— Rome ne me quitterait pas, répondit-elle.
Lucilia haussa les épaules, une moue presque compatissante.
— Peut-être que Rome vous a déjà quittée.
Ce fut une phrase comme un poison. Fabia ne répliqua pas. Elle rentra chez elle, en marchant plus vite qu’à l’aller.
Une pluie fine commençait à tomber, lavant le marbre des rues sans les rendre plus propres. Même les statues semblaient détournées d’elle.
Dans l’atrium, elle trouva son esclave Nape en train de ranger les lettres. Il n’y avait rien pour elle. Juste une convocation du collège des Vestales pour un office de prière publique. Une simple formalité.
Elle monta jusqu’à la petite pièce qui donnait sur le figuier. Celle où Ovide écrivait jadis.
Elle s’y assit, seule.
Et, lentement, elle comprit.
Il n’y aurait pas de réponse.
Pas de décret de rappel.
Pas même une lettre d'excuse.
Non, le pouvoir avait choisi la plus romaine des punitions : l’omission.
Ovide serait peu à peu effacé, comme une fresque ternie qu’on recouvre sans bruit.
Et elle, Fabia, deviendrait la veuve d’un vivant, ce qui est pire que d’être celle d’un mort.
Elle sentit alors, pour la première fois, son front glisser dans ses mains.
Les larmes ne vinrent pas. Seulement un épuisement sec, sans fond.
Il ne mourra pas là-bas. Mais il ne vivra plus ici.
Et moi… moi, je dois rester droite dans ce néant qu’on appelle Rome.
Les cloches du Capitole sonnèrent la neuvième heure.
Le jour se repliait sur lui-même, comme une bête blessée.
Fabia se leva.
Elle n’écrirait rien ce soir.
Elle ne parlerait à personne.
Mais elle jurerait, en silence, de garder vivante la mémoire d’Ovide.
Même si cela devait durer des années.
Même si cela devait la briser lentement.