L'Exil, roman (86)



Un matin d’hiver, alors que la mer Noire dormait sous un voile de givre, Ovide comprit qu’il ne reviendrait jamais. Rome s’était effacée, non pas seulement dans la distance, mais dans la chair même de sa mémoire. Ce qui restait de la Ville éternelle n’était plus qu’un éclat, une braise enfermée dans la cendre de l’exil.

Alors il se mit à écrire autrement. Ses vers n’étaient plus faits pour séduire, ni pour briller dans les salons parfumés. Ils naissaient de la douleur, âpres, rugueux, mais porteurs d’une vérité plus profonde. Chaque mot, arraché au silence, ressemblait à une pierre brûlante jetée dans la neige.

Le vent emportait parfois ses feuillets ; qu’importe. Il savait qu’ils survivraient, d’une manière mystérieuse, au-delà des frontières et des siècles. Rome avait cru l’enterrer dans l’oubli, mais déjà son chant se faufilait, indestructible, à travers le temps.

Dans le crépuscule, Ovide se tenait face à la mer. Les flots, qui l’avaient tant humilié, reflétaient à présent une lumière trouble, une clarté qui ne venait pas du soleil mais d’un ailleurs. Il comprit que l’exil, en le dépossédant de tout, lui avait donné la seule chose indestructible : un chant pour l’éternité.

La cendre n’était plus seulement un tombeau. Elle devenait matière alchimique, poussière d’or dispersée au vent.
Et dans le froid de Tomis, Ovide, dernier des poètes romains, sut que sa voix n’appartenait plus à un empereur, ni à une ville, mais aux siècles à venir.





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