L'Exil, roman (87)



Rome.

Ville saturée de lumière.
Marbre en feu au couchant.
L’air lui-même — or répandu.

Ovide marche dans cette splendeur.
Ses mots coulent comme des rivières claires.
Les femmes rient.
Les hommes admirent.
Le poète se croit immortel.


Mais les statues se détournent.
Leurs yeux de pierre s’emplissent de silence.

Une faute impalpable.
Un secret.
Un instant vu — trop vu.
Un mot dit — trop dit.

L’Empereur lève la main.
Et l’or se brise.


Exil.

Rome se referme.
Les jardins s’éteignent.
Les portes claquent.
Les fêtes deviennent poussière.


La mer.

Miroir de plomb.
Vagues qui dévorent les souvenirs.
Écume — visages engloutis.

Chaque syllabe s’effondre.
Chaque vers s’efface.

L’or devient sel.
Le sel devient cendre.


Tomis.

Une cicatrice posée au bord du monde.
Maisons battues par le vent.
Langue barbare.
Nuits sans étoiles.

L’hiver tombe —
et la neige n’est pas neige :
cendre froide.


Le poète gèle.
Le latin se brise dans sa bouche.
Ses poèmes éclatent comme glace au sol.
Il parle au néant.


La nuit.
Un gouffre.

Rome revient en éclats :
un parfum,
un marbre au soleil,
un rire perdu.

Puis tout s’efface.
Tomis est un purgatoire.
Il faut mourir à soi-même.


Un matin de givre.

La mer dort sous un voile figé.
Ovide comprend.

Il n’écrira plus pour séduire.
Ni pour plaire.
Ni pour Auguste.
Ni pour Rome.


Ses vers naissent de la douleur.
Rugueux.
Âpres.
Mais vivants.

Chaque mot :
une braise jetée dans la neige.


Le vent emporte ses feuillets.
Qu’importe.
Ils survivront.

Rome l’a banni.
Mais son chant se glisse déjà
dans les siècles à venir.


Crépuscule.

La mer reflète une lumière qui n’est pas du soleil.
Un éclat venu d’ailleurs.

L’exil a tout pris.
Mais il lui a laissé l’éternité.


La cendre devient or.

Dans le froid de Tomis,
Ovide sourit au silence.

Son nom appartient désormais aux siècles.




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