L'Exil, roman (88)



On dit qu’il marcha dans la mer Noire, une nuit de pleine lune.
Les témoins racontent que son ombre s’avança dans les flots,
qu’il se perdit dans l’écume,
que l’eau glacée referma son manteau.

On dit qu’Ovide se noya,
qu’il offrit son corps à la mer qui l’avait tant humilié.
On pleura,
on chuchota son nom,
on écrivit des lettres à Rome pour annoncer la fin.

C’était un mensonge.
Un voile jeté sur la vérité.

Car un complice avait murmuré à l’oreille des veilleurs,
avait semé l’histoire du suicide.
Pendant que la ville barbare se berçait de rumeurs,
Ovide quittait Tomis,
silencieux,
dissous dans la nuit.


Il marcha longtemps.
Par-delà le Danube,
par-delà les steppes et les fleuves aux eaux d’airain.
Les cendres de son passé tombaient derrière lui,
grain après grain,
comme un sablier renversé.

Rome ?
Il la porta encore quelque temps,
comme une pierre brûlante dans la poitrine,
puis il la déposa au bord d’un désert.

Sa femme, ses enfants ?
Il les revit une dernière fois dans ses songes,
leurs visages entourés de la clarté de l’enfance,
puis il leur offrit un adieu sans larmes.
L’amour demeura,
mais il ne le retint plus.

Ses vers ?
Il les enferma dans une boîte de silence.
Les poèmes étaient désormais cendres,
et il ne voulait plus chanter.
Il n’avait plus besoin d’éternité.
Seulement d’un chemin.


Alors il marcha vers l’Orient.
Vers la Bactriane,
où les rivières roulent sous des ciels de feu.
Vers les montagnes hautes,
où le soleil s’élève avec une violence neuve.
Vers des villes inconnues,
où son nom ne signifiait rien.

Il n’était plus poète.
Il n’était plus exilé.
Il n’était plus qu’un homme
qui avançait vers la lumière.


Les derniers feux de Rome ne l’éclairaient plus.
Il ne portait avec lui que la nudité d’un départ.
Il marchait seul,
mais dans son pas s’ouvrait déjà
le continent des promesses.

Et sous le soleil levant,
Ovide prononça ses derniers mots au monde ancien :

Je vivrai.





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