Le prophète du 8e étage



M. Armand Griffon vivait au huitième étage d’une barre HLM, dans un appartement dont la moquette usée avait connu l’âge d’or des années 1980. Ses revenus, on le sait, étaient tirés de ce que la République, dans un élan d’humanité, daigne octroyer aux âmes dénuées d’emploi : le revenu de solidarité active. Ce modeste viatique, au lieu d’en faire un disciple reconnaissant de l’État providence, l’avait métamorphosé en son plus ardent contempteur.

Le matin, devant la boulangerie de son quartier, il apostrophait les voisins :
— Chers concitoyens, savez-vous que la dette publique est la véritable peste moderne ? Voilà la cause de notre décadence, la source de toutes nos misères !

Il déclamait ces sentences avec une gravité de tribun romain, levant vers le ciel une baguette encore chaude comme un sceptre de fortune. Les clients, mi-amusés, mi-agacés, se hâtaient d’emporter leur pain.

La concierge, Mme Zemmour (aucun lien), prétendait qu’il parlait comme un éditorialiste de télévision : sérieux, pontifiant, et surtout persuadé que la destruction de ses propres allocations serait le salut du pays. On le surnomma bientôt « le Caton du HLM ».

Armand, ayant lu dans un magazine gratuit qu’on pouvait gagner en influence sur internet, décida d’ouvrir une chaîne YouTube. Sa cuisine décrépite, où s’écaillait une peinture couleur moutarde, devint un plateau de télévision improvisé. Il y filmait des discours enflammés contre l’assistanat, la gabegie publique et les fonctionnaires qu’il accusait d’oisiveté, tout en buvant le café soluble payé par la CAF.

Sa notoriété grandit d’une manière cocasse. Des journalistes locaux, flairant la caricature vivante, vinrent l’interviewer. Armand, transporté de vanité, proclama :
— L’avenir est à l’austérité, mes amis ! Il faut rendre aux peuples la noble fierté du travail, quitte à abolir les allocations !

Le lendemain, son RSA fut retardé pour une obscure raison administrative. L’ironie de la situation échappa à Armand, qui en conclut simplement que l’État avait lu ses vidéos et commençait à mettre en œuvre ses idées. Transporté d’orgueil, il annonça que ses thèses transformaient déjà la France.

Il partit en croisade contre l’ascenseur de son immeuble, accusant l’entretien collectif de nourrir le monstre de la dépense publique. Quand la machine tomba en panne, les voisins le soupçonnèrent d’avoir sabordé les boutons pour faire un exemple.

Le destin, qui se plaît à faire rire les dieux aux dépens des hommes, réservait à Armand une fin digne de ses doctrines.

Invité par un think tank aux ressources opaques, il participa à une conférence sur « la nécessaire austérité ». Les organisateurs, ravis d’avoir trouvé un véritable pauvre prêchant contre ses propres avantages, l’érigèrent en mascotte de la rigueur. Armand discourut, la voix vibrante :
— Que l’on supprime les allocations ! Que l’on ferme les hôpitaux ! La vraie richesse est dans l’effort individuel !

Le buffet, cependant, demeura somptueux : petits fours, saumon fumé et champagne. Armand s’y jeta avec la ferveur d’un moine devant le Saint-Sacrement. Des photos circulèrent où il haranguait le public la bouche pleine de choux à la crème.

De retour dans son HLM, il découvrit avec effroi une lettre officielle : la suppression de son RSA, suite à une erreur administrative prolongée. Cette fois, il n’y eut pas de paiement de rattrapage.

On raconte que, réduit à mendier devant la même boulangerie, il continuait ses prêches en tenant une pancarte :
« La dette nous tue : abolissons l’État providence ! »

Les passants, émus et rieurs, glissaient une pièce dans sa sébile. Ainsi Armand, prophète famélique de l’austérité, devint enfin productif : il faisait vivre l’ironie.



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