L'Exil, roman (124)
Le matin qui suivit la tempête, Ovide, loin de s’abriter, se rendit de nouveau au rivage. Il marcha lentement, comme si chacun de ses pas, enfoncé dans le sable humide, eût été la réplique dérisoire de cette traversée qu’il n’avait su accomplir. Les pêcheurs, occupés à réparer leurs filets, le saluèrent d’un regard oblique, à la fois curieux et défiant, tel qu’on observe un homme qui a voulu échapper au sort commun et que la mer a rejeté, non sans ironie, à la condition des autres.
Devant lui, l’étendue grise s’étalait, immobile et pourtant toujours frémissante, comme une vaste plaque de métal poli que l’air caresse sans relâche. Ovide s’assit sur un rocher humide, et son regard, en se perdant dans les reflets incertains, trouva dans cette surface agitée une image fidèle de son âme : ni lisse ni rompue, toujours traversée de rides, jamais purement calme, toujours troublée d’un souffle qui venait de loin.
Il se dit — non pas avec la voix du poète, mais avec celle, plus sombre, de l’exilé — que la mer n’était pas seulement le chemin qui lui était refusé, mais la figure exacte de son destin : changeante, fuyante, inaccessible, prête à se donner dans un éclat d’azur, puis à se retirer dans la boue des tempêtes. Chaque vague qui se brisait à ses pieds semblait lui murmurer : vois, tu n’iras pas plus loin que ce rivage, nous sommes ton image et ta prison.
Alors, dans un geste presque instinctif, il se pencha sur l’eau. L’écume s’était adoucie, et son visage, un instant, y apparut : visage allongé, tiré de fatigue, encadré de mèches lourdes de sel. Mais à peine avait-il cru le reconnaître que le reflet s’éparpilla, brisé par une ride, avalé par l’opacité mouvante. Et ce fut comme si la mer, en refusant de lui offrir même son image stable, confirmait la dissolution lente de son être.
Quand il se releva, le vent s’était levé de nouveau, secouant son manteau, et derrière lui les voix des pêcheurs, indistinctes mais moqueuses, se perdaient dans le tumulte. Il marcha, plus las qu’auparavant, sachant que ce miroir salé, où il croyait trouver son double, n’était que la réplique infiniment ironique de sa déchéance : un reflet qu’on ne saisit jamais, une promesse qui se défait sitôt qu’on s’en approche.