L'Exil, roman (89)
Un éclat d’autrefois luit encore dans mes veines,
Rome aux portes d’airain me parle dans mes nuits ;
Ses temples, ses festins, ses foules et ses fruits
S’élèvent dans mes chants comme au loin des fontaines.
J’avais cru retenir les heures souveraines,
Fixer l’or dans un vers, abolir les circuits ;
Mais l’exil a brisé l’armure de mes bruits,
Et mon âme se tord sous des gloires lointaines.
Ô splendeur d’un métal promis à se ternir,
Ton éclat est un feu qui m’apprend à mourir,
Un mirage de flamme au désert qui s’éteint.
J’embrasse ce soleil qui fut ma délivrance,
Car l’or se fait poussière et cède à la souffrance,
Et son ombre déjà se change en lent dédain.
La cendre me recouvre, et mes jours se défont ;
Tout se brise en éclats sous la nuit sans demeure.
Un vent sourd et glacé décompose les heures,
Et le temps, lent poison, s’infiltre dans mon front.
Les dieux m’ont oublié, leurs regards s’effilochent,
Comme un feu consumé sous l’écorce du bois ;
Je demeure captif d’un exil sans pourquoi,
Un squelette d’ivresse où mes mots se décrochent.
Pourtant, dans le néant, je devine un éclat :
La cendre porte en elle un secret qui l’embrase,
Un trésor enfoui dans l’éteinte des flammes.
Ainsi, tout s’abolit, mais rien ne disparaît ;
La ruine est un seuil, et ma plainte s’écrase
En un cercle obscurci où se lèvent les âmes.
Le silence descend comme un manteau d’étoiles,
Il tisse autour de moi des prisons de cristal ;
Je parle, et mes échos meurent dans l’animal
Qui rôde dans la nuit au-delà des murailles.
Il n’est plus de clameurs, ni de lyres, ni d’ailes,
Seulement un abîme, une attente sans fin ;
Et mes lèvres de cendre apprennent le chemin
D’un verbe plus ancien que la langue mortelle.
Ô silence, abîme où les mondes s’engloutissent,
Tu dévoiles un chant plus pur que mon désir,
Un métal inconnu, jailli des précipices.
J’y plonge, et je me perds, ivre de m’abolir,
Car l’absence est un seuil où les dieux s’initient,
Et l’exil, une clé pour forcer l’avenir.
Des ténèbres surgit une aurore invisible,
Une flamme s’élève au fond de mes débris ;
La cendre s’ouvre en fleur, et dans son clair abri
Un éclat recompose une forme impossible.
Je sens l’or se mêler au souffle indicible,
Un feu neuf m’habite et déchire l’oubli ;
L’exil devient chemin, et son gouffre accomplit
L’énigme du destin que la mort rend lisible.
Ô miracle des nuits, ô fonte des prisons,
Le néant m’a forgé des ailes de raison,
Et l’abîme s’incline en lumière profonde.
Je ne suis plus captif mais voyageur ardent,
Car renaître, c’est boire au silence du monde,
Et semer dans la nuit l’éclat du feu vivant.