L'Exil, roman (93)
Un grondement de tonnerre éclata, et dans l’éclair, Ovide le vit.
Un pirate s’avançait vers lui, à pas lents, comme si le tumulte n’était qu’un décor pour leur rencontre. C’était un homme gigantesque, les épaules couvertes d’une peau de loup, la barbe tressée de perles noires. Son regard, d’un vert phosphorescent, brillait à travers les gouttes de pluie.
Il leva son cimeterre, et sa voix, rauque comme un gouffre, tonna :
— Tu es Romain ?
— Je le suis, répondit Ovide, mais sans arme ni gloire. Un poète seulement.
— Un poète ? ricana l’autre. La mer ne nourrit pas de vers, elle avale des hommes.
Il frappa. Le fer trancha l’air si près qu’Ovide crut sentir la mort frôler son visage. Par réflexe, il recula, trébucha sur un cadavre, mais se releva, brandissant son mince stylet de bronze.
— Rends-toi, continua le pirate, et je t’emmènerai en esclave. Tu chanteras mes pillages, tu glorifieras ma horde.
— Non, dit Ovide avec une fermeté inattendue. Ma voix n’est pas à vendre. J’ai perdu ma patrie, mais pas ma langue.
Le pirate éclata d’un rire caverneux et s’élança. Les deux hommes s’entrechoquèrent, dérisoires au milieu de la tempête. Le poète para, d’instinct, le coup monstrueux ; le stylet vibra comme un roseau sous le choc du cimeterre. Une pluie d’étincelles se mêla aux gouttes d’orage.
Ovide, désespéré, se mit à parler, comme s’il récitait sur une scène :
— Tu crois me terrasser ? Sache que les mots vivent plus longtemps que les armes. Tes descendants oublieront ton nom, mais se souviendront de mes vers.
Cette proclamation, criée à la face du monstre marin, fit hésiter un instant le pirate. Dans ce battement de cœur, Ovide plongea son stylet dans la chair de l’adversaire, sous la côte, à l’endroit fragile qu’il avait entrevu. L’homme vacilla, l’œil soudain voilé.
— Tes vers… qu’ils te sauvent, souffla-t-il dans un râle.
Puis il s’écroula, avalé par le roulis du pont, avant d’être englouti par l’eau noire.
Ovide demeura debout, haletant, la main rougie, stupéfait d’avoir survécu. Il n’avait plus de souffle, mais ses lèvres, malgré elles, murmurèrent un distique latin, comme une prière offerte à la nuit.