L'Exil, roman (97)
Cela commença par un bruit qu’aucun habitant de Tomis ne sut d’abord identifier. Était-ce le vent, les sabots de chevaux sur la steppe, ou bien le ressac contre les palissades de bois ? Les sentinelles s’interrogeaient à voix basse, fronçant les sourcils, l’oreille tendue vers l’obscurité. Rien ne se voyait encore.
La rumeur se propagea pourtant, plus rapide que le son lui-même. Dans les maisons, on éteignit les lampes. Les femmes serrèrent les enfants contre elles. Les hommes sortirent dans la rue, armes à la main, et se dirigeaient sans hâte mais sans retour vers les remparts. Chacun savait qu’il fallait se tenir prêt.
Ovide, lui, fut réveillé par les pas précipités. Enveloppé d’une couverture, il sortit. La nuit était glaciale, couleur de cendre. La mer, derrière lui, semblait retenue dans son souffle, comme si elle-même redoutait l’approche d’une menace.
Un cavalier surgit à la porte nord, couvert de poussière :
— Ils sont là ! cria-t-il, d’une voix étranglée. Des torches… des torches au loin !
Tous montèrent aux palissades. On scrutait l’horizon, mais la steppe demeurait obscure, immense, vide. Seuls quelques points incertains, rouges, tremblotants, apparaissaient puis disparaissaient, comme des étoiles malveillantes.
Le temps passa. Une heure, peut-être plus. Les torches restaient là, immobiles, à distance. On croyait parfois entendre un hennissement, puis le silence retombait. Les hommes serraient leurs armes, mais leurs bras se fatiguaient. Les vieillards murmuraient des prières. Les enfants, qu’on n’avait pas réussi à contenir, regardaient, fascinés, ce feu tremblant au loin.
Et rien ne se produisit. Pas d’assaut, pas de cris, pas de cavaliers déferlant dans la nuit. Seulement cette attente interminable, cet ennemi invisible qui se dérobait à chaque instant.
À l’aube, les torches s’éteignirent. La steppe reprit son visage muet. Les sentinelles descendirent des palissades, les jambes engourdies, les yeux brûlés par la veille. Les habitants se dispersèrent en silence, comme s’ils avaient rêvé.
Ovide rentra chez lui, hagard. Dans son esprit, un vers se formait, mais il le chassa. Comment dire ce qu’il avait vu ? Était-ce une attaque ? Était-ce une plaisanterie sinistre des dieux ? Ou bien, songea-t-il, tout cela n’était-il qu’un prélude — une promesse faite par les barbares de revenir, plus proches, plus cruels ?