L'Exil, roman (99)
Au matin, la cité se leva dans un silence d’outre-monde.
La mer elle-même semblait assoupie, lourde et grise, comme si elle avait honte de n’avoir rien protégé. Les rues de Tomis n’étaient plus que boue, cendres et débris épars. Ici, une poupée d’enfant, la tête arrachée ; là, une sandale ensanglantée. Des corbeaux, déjà, voletaient par grappes au-dessus des corps.
Les survivants erraient comme des spectres. Certains cherchaient leurs proches parmi les cadavres, soulevant un bras, dégageant une chevelure prise dans la boue, poussant alors un cri bref, animal, qui retombait aussitôt. D’autres restaient immobiles, assis sur une pierre, le regard fixe, comme s’ils n’attendaient plus rien.
Près de la palissade éventrée, le vétéran à la balafre commandait encore, d’une voix cassée. Ses ordres n’étaient que des murmures rauques : enterrer vite, recoller les planches, rallumer un feu. Sa figure semblait pétrifiée, et pourtant ses mains, habituées à la guerre, ne s’arrêtaient pas.
Ovide avançait au milieu de cette désolation, étranger parmi eux, mais lié désormais par une fraternité du malheur. Son manteau portait encore l’odeur de fumée et de sang. Chaque pas résonnait comme dans un temple vide. Dans son esprit, les images tournaient sans relâche : le fer s’abattant, les cris, les flammes, les visages effacés dans la boue.
Il songea à Rome — aux rires des jardins, aux festins sous les portiques, aux femmes qui posaient leur main légère sur un bras d’homme. Tout cela paraissait irréel, mensonger, comme une ombre de théâtre. Ici, au bord du monde, la vérité était nue : les dieux se taisaient, la mort régnait, et l’homme n’était qu’une proie.
Alors, pour la première fois depuis son exil, Ovide sentit naître en lui non pas le désir de retour, mais celui d’écrire autrement. Non plus pour séduire, non plus pour plaire aux puissants, mais pour témoigner. Témoigner de cette fragilité des cités humaines, de la petitesse des empires face au hurlement d’une horde dans la nuit.
À la tombée du jour, les fosses communes furent recouvertes de terre. Les survivants, épuisés, s’assirent ensemble, comme pour se réchauffer d’une chaleur humaine qu’ils croyaient perdue. Personne ne parlait. Les flammes d’un feu unique éclairaient les visages meurtris.
Ovide regardait le ciel où une étoile s’allumait. Et dans ce point de lumière fragile, suspendu dans l’immensité, il crut reconnaître l’image même de Tomis : petite, menacée, mais obstinée à briller encore.