Platon, Hobbes et la guerre civile
Nous allons parler aujourd’hui d’un petit livre que Giorgio Agamben a publié en 2015. C’est une étude sur la guerre civile, sur le concept de guerre civile. Qu’est-ce que la guerre civile ? Le petit livre se divise en deux. Agamben étudie dans un premier temps la guerre civile chez les Grecs, chez Platon et Aristote à travers le concept de stasis. En effet la stasis chez les Grecs c’est la guerre intestine. Dans une deuxième partie Agamben étudie le concept de guerre civile chez Hobbes notamment dans son principal livre le Léviathan. Ce petit livre est issu d’une conférence donnée à Princeton en octobre 2001, soit un mois après le 11 septembre. Agamben étudie ici le concept d’adémie, c’est à dire l’absence de peuple. Agamben étudie aussi ce qu’il croit être une guerre civile mondiale. Le concept de guerre civile mondiale a été lancé par Hannah Arendt en 1963 dans son livre De la Révolution. Pour Agamben le terrorisme est une guerre civile mondiale. Chez les Grecs il y avait une distinction entre le privé (l’oikos) est le public (la polis). Agamben nous dit qu’aujourd’hui il n’y a plus de différence entre le privé et le public puisque le public assure les fonctions du privé ou plutôt puisque la polis est maintenant oikos.
Dans une deuxième partie, Agamben en commentant Hobbes fait une comparaison entre Léviathan et Béhémoth. Selon Carl Schmitt Léviathan c’est la mer, l’empire maritime, et le Béhémoth, c’est la terre, l’empire de la Terre, le nomos de la terre. Agamben fait tout un commentaire du frontispice de la première édition du Léviathan de Hobbes et se demande si le Léviathan n’a pas une signification ésotérique voir occultiste. Le Léviathan est un monstre biblique qui apparaît au livre de Job dans l’Ancien testament. On en retrouve des traces dans la tradition talmudique. L’État Léviathan est un artifice efficace qui permet de conférer une unité à une multiplicité. Sur le frontispice on voit bien que la cité de l’État Léviathan est vidée de ses habitants : c’est un Etat situé au-delà de frontières géographiques. C’est une distinction entre le peuple (populeux) et la multitude (multitudo). Pour Hobbes l’État Léviathan est un dieu mortel. C’est une cité vidée de ses habitants parce que le texte de Hobbes se rapproche du genre utopique même si il a une finalité normative à visée réaliste. Le cycle historique est comme celui de Vico : ordre incarné par le peuple roi, puis désordre, guerre civile, multitude dissoute, multitude désunie, puis de nouveau retour à l’ordre avec le peuple roi. On peut trouver cet aspect cyclique également chez Platon au livre VIII de La République et chez Aristote. Le Léviathan est-il une figure de l’Antéchrist, du démon? En tout cas pour Agamben, le Léviathan annonce la fin des temps, c’est un texte qui a une dimension eschatologique en plus d’avoir une dimension démonologique puisque l’on sait que la dernière partie du Léviathan est consacrée à l’étude des différents démons. Le Léviathan peut paradoxalement annoncer le royaume de Dieu annoncé dans le Nouveau testament et faire ainsi passer d’une monarchie profane à une monarchie messianique en détruisant l’anomie. Ainsi Agamben donne raison à la thèse de Carl Schmitt selon laquelle les concepts politiques de la modernité ne sont que des concepts théologiques sécularisés.