L'Exil, roman (24)

Le vent traîne des odeurs de sel et de cendre. Au loin, un feu vacille, lumière tremblante sur la plaine.

J’avance.

Sous mes pieds, la terre du Pont-Euxin, dure, étrangère. Derrière moi, Rome s’efface, floue comme un rêve d’enfant.

Et lui, là. Silhouette drapée dans l’obscurité.

— Tu es Rémétalcès.

Il se tourne, lentement. Le roi des Thraces, un aigle aux yeux de pierre.

— Et toi, tu es l’exilé.

Sa voix est une lame, tranchante, froide. Il m’observe comme on observe un coquillage rejeté par la marée, un fragment d’un autre monde, usé, inutile.

— J’ai lu tes vers, dit-il.

Son accent heurte les syllabes latines, mais il les prononce.

— Alors tu sais ce que j’ai perdu.

Un silence. Il marche, le sable crisse sous ses sandales de cuir.

— Tu crois être seul, Romain, parce que tu n’as plus Rome sous les yeux. Mais ici aussi, le temps détruit. Ici aussi, les dieux oublient.

Je ris, un rire court, amer.

— Les dieux m’ont déjà oublié.

Il me fixe. Une ombre passe sur son visage.

— Tu écris encore ?

Je baisse les yeux. Ma main se serre sur un fragment de bois flotté, usé par l’eau et le temps.

— J’écris sur la mer, sur le vent, sur la douleur d’être ailleurs. J’écris, mais pour qui ?

Rémétalcès incline la tête.

— Pour toi, peut-être. Pour que la mer se souvienne.

Le vent s’élève, soulève un nuage de sable. Je plisse les yeux. Quand je les rouvre, il n’est plus qu’une ombre, une silhouette disparaissant dans la nuit.

La mer gronde. Je suis seul. Mais un instant, j’ai cru entendre un écho.


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