L'Exil, roman (25)



La lune saigne sur l’eau noire. Le vent découpe la nuit en fragments. Le feu danse entre nous, un battement, une respiration.

— Tout est nombre, dit-il.

Sa voix porte, creuse l’air comme un couteau fend le bois.

— Tout est flux, dis-je. Tout change, tout s’efface.

Rémétalcès sourit, à peine. Il ramasse un galet, le pèse dans sa paume.

— Un galet, un homme, une étoile. Tous sont pris dans la même harmonie. Les Thraces le savent. Les pythagoriciens aussi.

Il lance le galet. Ploc. Cercle dans l’eau, cercle qui s’étire, qui s’amenuise.

— Et pourtant, regarde, dis-je. Le cercle meurt. L’eau reprend son visage, intacte. Où est le nombre, alors ? Où est l’ordre ?

Il me fixe.

— Ce n’est pas l’eau qui compte. C’est le rythme. Le battement des vagues, la danse du ciel. Les dieux eux-mêmes ne sont que proportions.

Je secoue la tête.

— Alors où suis-je, moi ? Quelle est ma place dans ton ordre parfait ? Moi qui étais Rome et qui suis exil, moi qui étais or et qui suis cendre ?

Un silence. La mer brille, lointaine, indifférente.

— Tu es une dissonance, dit-il. Une note déplacée dans le chant du monde.

Il ramasse un autre galet, le serre, le caresse du bout des doigts.

— Mais même la dissonance fait partie du nombre.

Je ris, bref, amer.

— Tu veux dire que mon exil était écrit ?

Il secoue la tête.

— Pas écrit. Mais possible. L’ordre n’est pas une ligne, il est un filet. Mille fils, mille directions. Et toi, tu es tombé dans l’un d’eux.

Le feu craque, un tison s’effondre. L’ombre danse sur son visage.

— Écris, Ovide. Continue d’écrire. Si tu captes le rythme, peut-être retrouveras-tu ta place dans le nombre.

Je regarde mes mains. Elles tremblent, mais elles savent encore tracer des signes.

Au loin, la mer respire. Une cadence, un retour, un murmure d’éternité.


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