L'Exil, roman (43)
Ovide marche sur la rive du Pont Euxin, et la mer murmure son nom avec une langue qu’il ne reconnaît plus. Le vent, froid et tranchant, siffle dans les interstices de son être. Il n’est plus certain d’avoir un corps. Peut-être n’est-il déjà plus qu’un mythe érodé, une silhouette vacillante sur la toile du monde.
Il sait que les dieux tombent. Il l’a vu dans les légendes, dans les temples vides et les statues fêlées. Le poète exilé est un dieu brisé, un orphelin de l’Olympe jeté sur une terre qui ne l’accueille pas. Il n’a plus d’autels, plus de fidèles, plus de voix pour prononcer ses vers. Seul le silence le vénère encore.
Alors le monde s’efface sous ses pas. Le sable devient cendre, la mer devient ombre liquide. Autour de lui, la réalité se défait comme un tissu trop tendu. Il aperçoit, au-delà du visible, l’ossature des choses : l’empreinte d’Hermès sur le vent, la griffure d’Hadès sous la terre, l’œil d’Ouranos dans l’abîme du ciel.
Une main l’appelle. Une main immense, de feu et d’oubli. Est-ce Apollon, son ancien protecteur, venu le dévorer comme on efface un songe ? Est-ce Nyx, la Mère Noire, venue l’accueillir dans son ventre étoilé ?
Ovide s’abandonne. Il sent son être se diluer dans la matière première du cosmos, comme Dionysos fut démembré avant d’être divinisé. Son exil s’achève dans la dissolution.
Et pourtant, il ne disparaît pas. Il renaît dans le ciel, éclaté en mille fragments. Ses mots deviennent constellation, inscrits pour l’éternité dans le livre muet des astres. Là-haut, quelque part entre Orion et la Grande Ourse, un poète oublié continue de murmurer aux dieux l’histoire de ceux qu’on exile.