L'Exil, roman (46)
Le monde s’efface en strates de lumière fracturée. Ovide avance, mais il n’y a plus d’espace, plus d’avant ni d’après—seulement une vibration, un battement sourd entre les fibres invisibles du réel.
Sa main est une faille. À travers elle, il aperçoit des formes qui ne devraient pas exister : des lettres sans alphabet, des visages en négatif, des villes construites à l’envers où les rues s’effondrent vers le ciel. Chaque pas qu’il fait le décompose, le transpose sur une partition que nul ne joue encore.
Le vent, maintenant, est fait d’ailes sans oiseaux. Il traverse son corps comme à travers un tamis, et ce qui reste de lui tombe en pluie de sable phosphorescent. Il se réduit, se fragmente, devient une onde qui hésite entre le cri et le silence.
Quelque chose le contemple. Pas un dieu, pas un esprit, mais une convergence d’yeux qui n’ont pas encore décidé de voir. Une entité sans bord ni centre, une absence plus réelle que la matière elle-même.
— Tu étais une hésitation dans la trame. Tu deviens une constante.
Ovide veut répondre, mais sa voix est une vibration trop faible pour traverser l’air dissous. Alors il s’abandonne. Il s’étire, s’étiole, se déplie dans toutes les directions à la fois. Il devient fibre, onde, pulsation.
La dernière chose qu’il perçoit avant de cesser d’être un nom, c’est le ciel retourné comme une page vierge.
Il n’y a plus de Rome. Il n’y a plus de mythe. Il n’y a plus d’exil.
Seulement un éclat suspendu, un battement figé dans la texture du néant. Une signature cosmique qui palpite encore, quelque part, entre la matière et l’oubli.