L'Exil, roman (61)
Le vent court sur les rives grises du Pont-Euxin, et Ovide marche parmi les souffles, errant sans poids, sans racine. Tout lui glisse entre les doigts comme une poignée de sable. Les visages qu’il croise ne sont que des masques de brume, des silhouettes qui n’ont ni nom ni mémoire. Il parle, parfois, mais sa voix semble flotter au-dessus de lui, spectrale, désincarnée.
Il songe que la vie ne lui appartient plus. Elle danse à côté de lui, mais ne le touche pas. Comme un reflet sur l’eau, insaisissable. Il voit les hommes aimer, pleurer, s’étreindre ; il voit les mères serrer contre elles leurs enfants, et les amis échanger leurs rires dans l’éclat du jour. Mais tout cela lui est devenu lointain, comme un écho dans la brume.
L’exil n’est pas seulement un lieu, il est une manière d’être. C’est apprendre à ne plus tenir à rien. Ni aux gestes, ni aux noms. C’est sentir le temps s’effriter sans qu’aucune heure ne soit vraiment à soi. Ovide se sait vivant, mais d’une vie qui ne lui obéit plus, qui le traverse sans le pénétrer. Il est un corps qui marche, un regard qui voit, mais l’âme, elle, s’efface.
Il se rappelle Rome, son faste et sa fureur, mais même ces souvenirs lui semblent étrangers, comme s’ils appartenaient à un autre. Peut-être n’a-t-il jamais vécu que dans ses vers, et maintenant que les mots s’épuisent, que reste-t-il ?
Il fixe la mer, infinie, indifférente. Elle seule lui ressemble.