Benoît XVI et Babel
1. L’universalité chrétienne contre l’universalisme abstrait
Benoît XVI a toujours distingué entre l’universalité chrétienne, fondée sur la vérité, l’amour et la liberté, et l’universalisme idéologique moderne, qui tend à imposer une vision unique du monde, souvent détachée de toute transcendance.
Dans le projet de Babel, il voit une unité construite par la seule volonté humaine, une tentation prométhéenne de bâtir un monde unifié sans Dieu. C’est ce qu’il appelle parfois la raison fermée sur elle-même, qui prétend organiser l’humain par la technique, la politique, ou l’économie, sans référence au divin.
Or pour lui, un tel projet mène inévitablement à l’inhumanité, car il oublie ce que l’homme est réellement : un être fait pour la vérité, pour le dialogue avec Dieu, pour une liberté ordonnée au bien. Le cosmopolitisme moderne, lorsqu’il devient absolutiste, tombe dans cette logique : en prétendant unir l’humanité par le bas (marché, langage, droits sans devoirs, communication sans communion), il finit par nier les identités profondes des peuples, leur mémoire, leur dimension religieuse.
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2. Babel comme figure du totalitarisme moderne
Dans plusieurs de ses interventions (notamment son célèbre discours de Ratisbonne, 2006), Benoît XVI met en garde contre un rationalisme séparé de la foi, qui produit des systèmes clos — politiques, économiques ou technologiques — incapables de répondre aux aspirations les plus profondes de l’homme.
Babel, dans cette lecture, est un archétype du totalitarisme moderne : un monde où l’on parle une seule langue, où la diversité est vue comme un obstacle à l’efficacité, où l’unité est imposée par le haut. Il y a ici une résonance forte avec les idéologies du XXe siècle, mais aussi avec certaines formes de mondialisme contemporain : l’idée que l’humanité doit être gouvernée selon des critères exclusivement techniques, universels, « neutres » — c’est-à-dire, en réalité, déshumanisés.
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3. La Pentecôte comme réponse chrétienne : vérité, liberté, pluralité
Contre Babel, Benoît XVI nous invite à contempler la Pentecôte. Ce qu’il y voit, c’est la restauration de l’unité dans la vérité et dans l’amour, mais sans destruction des différences. Les Apôtres parlent dans l’Esprit, et chacun les entend dans sa propre langue. Cela signifie que la foi chrétienne respecte l’identité culturelle des peuples, tout en les appelant à une communion plus haute.
C’est là toute la force de l’universalité catholique selon Benoît XVI : elle ne gomme pas les identités, elle les purifie, les élève, les ouvre. Il s’oppose en cela aux visions qui confondent unité et uniformité. L’Église, selon lui, est l’antidote à Babel, parce qu’elle est le lieu d’une unité transcendante, née de l’amour de Dieu et non de la technique ou de l’idéologie.
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4. La vérité comme fondement d’une unité authentique
Enfin, Benoît XVI insiste souvent sur un point fondamental : seule la vérité rend possible une unité véritable. Or la vérité, dans sa pensée, n’est pas un concept autoritaire, mais quelque chose qui se reçoit. Elle suppose une écoute, une humilité, une ouverture au mystère. Le cosmopolitisme moderne, qui se veut souvent post-vérité, post-religieux, post-traditionnel, se condamne à l’échec : il construit des Babels qui s’effondreront tôt ou tard.
La véritable unité de l’humanité ne peut être trouvée que dans le Christ, qui est la vérité faite chair, la Parole qui donne sens à toutes les langues. C’est pourquoi la mission de l’Église est profondément politique, non au sens d’un pouvoir terrestre, mais parce qu’elle propose à l’humanité une unité vivante, enracinée, respectueuse, fondée sur la personne et non sur le système.
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Conclusion : de Babel à Rome
Benoît XVI nous enseigne que le monde moderne court le risque de reconstruire Babel : une société globale, sans âme, sans transcendance, sans limites. Mais il nous rappelle que le vrai chemin n’est pas celui de la fusion, mais de la communion. Ce n’est pas à Babel que l’histoire doit s’achever, mais à Rome — non pas Rome comme empire, mais comme Église, c’est-à-dire comme lieu d’universalité incarnée, dans la pluralité des peuples rassemblés par la foi.