De Babel à la Pentecôte : une critique chrétienne du cosmopolitisme
Le récit biblique de la Tour de Babel (Genèse 11) est souvent perçu comme une simple fable sur l'origine des langues. Pourtant, il peut être lu de façon bien plus profonde, comme une critique radicale d'un certain idéal moderne : le cosmopolitisme. À travers les figures de Joseph de Maistre, René Girard et Benoît XVI, on peut découvrir dans Babel une mise en garde prophétique contre l'illusion d'une unité humaine construite sans Dieu, contre les dérives d'une mondialisation sans visage, et contre les utopies rationalistes déracinées.
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1. Joseph de Maistre : l'homme n'existe pas, seuls existent les peuples
Pour Joseph de Maistre, penseur contre-révolutionnaire, l'universalisme abstrait des Lumières est une fiction dangereuse. Il écrit : « L'homme n'existe pas. J'ai vu des Français, des Italiens, des Russes, mais l'homme, je ne l'ai jamais rencontré. » Dans cette formule se concentre sa méfiance envers toute tentative de penser l'humanité hors de ses enracinements naturels : langue, religion, tradition, nation.
Babel, dans cette perspective, incarne une tentative prométhéenne de réaliser l'humanité en dehors de Dieu, par un projet collectif d'auto-déification. Une langue unique, une ville unique, une tour dont le sommet touche le ciel : cette homogénéité est la négation de la diversité voulue par la Providence. Pour Maistre, chaque nation a une mission propre dans l'histoire, et c'est dans la différence que se révèle la volonté divine. Le cosmopolitisme, en niant les médiations historiques et religieuses, reproduit la faute de Babel : vouloir l'unité sans transcendance, l'universel sans l'incarné.
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2. René Girard : le mimétisme et le risque de la fusion violente
Chez René Girard, le récit de Babel prend un sens anthropologique et dramatique. Le projet d'une humanité unifiée, sans différenciation, est le prélude à la crise mimétique. Quand tous parlent la même langue et poursuivent le même désir (« se faire un nom »), la rivalité s'intensifie. Ce qui semblait harmonie devient compétition généralisée.
La dispersion des peuples et la confusion des langues apparaissent alors non comme une punition, mais comme un geste salvateur : Dieu réintroduit des différences pour empêcher la violence sacrificielle. La culture, pour Girard, est née de ces différences structurantes qui canalisent le désir et limitent les crises. Le cosmopolitisme moderne, en homogénéisant le monde, en effaçant les traditions, les tabous, les rites, expose l'humanité à une nouvelle Babel : un univers mimétique global, sans extériorité, où le désir devient fou.
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3. Benoît XVI : unité véritable, transcendance et vérité
Benoît XVI, dans sa pensée profonde sur la culture et la foi, voit dans Babel l'image d'une humanité qui cherche l'unité sans Dieu. C'est le rêve technocratique, séculier, post-humaniste : un monde rationnel, efficace, unifié, mais sans âme. Il dénonce cette illusion d'une raison séparée de la foi, qui aboutit à la violence et à l'écrasement de l'homme.
La réponse chrétienne à Babel, c'est la Pentecôte. Là, les peuples entendent chacun dans leur langue le message des Apôtres : l'unité est réalisée non par l'effacement des différences, mais par l'Esprit. C'est une unité venue d'en haut, non construite par la volonté humaine, mais reçue comme un don. Pour Benoît XVI, l'Église est la véritable anti-Babel : elle réunit les nations sans les confondre, elle propose une véritable universalité, enracinée dans la vérité du Christ.
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Conclusion : contre la fusion, la communion
De Babel à la Pentecôte, la Bible dessine un chemin spirituel et politique. Babel symbolise une unité construite par en bas, artificielle, violente, vouée à l'échec. La Pentecôte, au contraire, manifeste une unité en Dieu, respectueuse des cultures, ouverte à la vérité, ordonnée à la paix.
Joseph de Maistre nous rappelle que l'humanité est toujours incarnée ; Girard nous montre que la différence sauve du désir meurtrier ; Benoît XVI nous enseigne que seule la vérité rend possible la liberté commune. Ensemble, ils nous invitent à rejeter les nouvelles Tours de Babel de la modernité pour retrouver une véritable catholicité : celle de l'Esprit, du respect, de la communion dans la différence.