Émile Burnouf, précurseur du christianisme aryen ?
Émile Burnouf (1821-1882), philologue, orientaliste et directeur de l’École française d’Athènes, est aujourd’hui un nom peu connu du grand public. Pourtant, son œuvre a exercé une influence souterraine mais réelle sur les courants idéologiques européens de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. En particulier, certaines de ses thèses sur la race, la religion et les origines du christianisme peuvent être lues comme les prémisses d’un christianisme "aryanisé", tel que le développeront plus tard les idéologues nazis sous l’appellation de christianisme positif.
Une lecture raciale du christianisme
Dans ses travaux, Burnouf développe l’idée que le monde indo-européen – qu’il identifie aux races "aryennes" – possède une spiritualité propre, fondée sur la pureté, la lumière et la hiérarchie. Il oppose cette spiritualité à celle des Sémites, jugée matérialiste, légaliste et inférieure. Cette dichotomie se retrouve dans sa lecture du christianisme : selon lui, le véritable esprit du message chrétien ne serait pas d’origine juive, mais aryenne, déformé par la judéité des Évangiles. Burnouf voit dans le Christ un maître de sagesse indo-européen, dont le message aurait été corrompu par la tradition juive. Cette idée préfigure directement l’effort des idéologues nazis pour "débarrasser" le christianisme de son héritage juif, comme l’exprime le christianisme positif formulé dans le programme du NSDAP.
Du sanskrit au nationalisme racial
L’intérêt de Burnouf pour les textes sanskrits, notamment les Védas et le Manusmriti, l’amène à construire une vision de l’histoire et de la religion dans laquelle les peuples aryens sont les porteurs d’une mission civilisatrice et spirituelle supérieure. Il affirme que le christianisme n’est acceptable que s’il est interprété à travers la mentalité aryenne, en écartant les éléments sémitiques qui l’auraient affaibli. Ces vues racialistes, bien qu’exprimées dans un cadre savant, anticipent les tentatives ultérieures de "reconstruire" un christianisme non juif, notamment sous le Troisième Reich.
L'influence indirecte sur les théoriciens du nazisme
Il n’est pas certain que Burnouf ait été lu directement par les idéologues du nazisme. Toutefois, son influence intellectuelle passe par des penseurs tels que Houston Stewart Chamberlain, qui reprend et vulgarise nombre de ses idées sur la race et la religion. Chamberlain, à son tour, influencera profondément Adolf Hitler. À travers ce canal, les thèses de Burnouf nourrissent le Volksgeist aryen qui imprègne la vision du monde nazie.
Une figure ambivalente
Il faut toutefois reconnaître la complexité de Burnouf. Philologue rigoureux, curieux des cultures anciennes, il n’a jamais prôné la violence ou l’exclusion. Mais ses généralisations sur les races et sa volonté de fonder une hiérarchie spirituelle sur une hiérarchie raciale ont ouvert la voie à des interprétations dangereuses. En posant les fondements d’un christianisme "purifié" de son origine juive, Burnouf a offert un substrat théorique à ceux qui, quelques décennies plus tard, tenteront d’enraciner la religion chrétienne dans une identité raciale aryenne.