J. D. Vance : un national-catholique américain
Résumé :
À travers l’analyse du parcours intellectuel et politique de J. D. Vance, cet article s’interroge sur la possible émergence d’une forme de national-catholicisme aux États-Unis. En croisant les dimensions biographiques, doctrinales et discursives, il s’agit de mettre en lumière les continuités entre la pensée de Vance et certains traits caractéristiques de la tradition nationale-catholique européenne, notamment dans sa version hispano-franquiste ou franco-maurrassienne, tout en tenant compte des spécificités du contexte américain contemporain.
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1. Introduction : un populisme religieux en mutation
La montée en puissance de J. D. Vance, élu sénateur de l’Ohio en 2022 après s’être fait connaître par Hillbilly Elegy, illustre un tournant idéologique au sein de la droite américaine : à la faveur de la décomposition du consensus néolibéral et de la crise des institutions libérales, émerge une synthèse entre populisme économique, conservatisme moral et catholicisme politique. Ce phénomène, encore marginal au sein du Parti républicain, témoigne cependant d’une évolution doctrinale significative. À ce titre, il peut être interprété à la lumière du national-catholicisme — une idéologie historiquement liée à des régimes autoritaires du XXe siècle, mais qui connaît aujourd’hui des mutations notables.
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2. Une conversion religieuse à forte charge idéologique
La conversion de Vance au catholicisme, survenue en 2019, ne peut être réduite à une quête spirituelle individuelle. Elle s’inscrit dans un mouvement plus large de retour à une tradition intellectuelle catholique parmi certains penseurs conservateurs américains (Rod Dreher, Patrick Deneen, Sohrab Ahmari), souvent désignés sous le label de post-liberals. Ces auteurs critiquent l’ordre libéral au nom d’une hiérarchie naturelle des biens humains, et appellent à une réinsertion du politique dans une finalité morale ou spirituelle.
Le catholicisme de Vance se présente ainsi comme une option politique, un cadre normatif destiné à refonder l’ordre social sur des bases jugées plus stables et plus conformes à la nature humaine. L’influence thomiste est revendiquée, de même que l’hostilité à la modernité individualiste, perçue comme désintégratrice.
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3. Une critique du libéralisme en faveur d’un État moral
Dans ses discours, Vance reprend les principales critiques adressées à la démocratie libérale : relativisme moral, dissolution des communautés, désacralisation de l’autorité, etc. Il plaide pour une politique qui oriente explicitement les citoyens vers une conception du Bien commune, refusant le modèle libéral de neutralité axiologique. Cette posture rejoint une tradition de pensée que l’on retrouve dans le magistère catholique préconciliaire, notamment chez Pie IX et Léon XIII, mais aussi chez des penseurs comme Donoso Cortés ou Juan Vázquez de Mella, qui voyaient dans l’autorité politique le garant d’un ordre moral transcendant.
Dans ses interventions, notamment à la National Conservatism Conference, Vance affirme que l’État doit soutenir la famille chrétienne, combattre les « industries du vice » (pornographie, drogues, etc.) et promouvoir une « vertu publique ». Il en appelle à un usage affirmatif de la puissance étatique pour restaurer une cohésion nationale fondée sur des normes morales objectives — ce qui relève d’une logique nationale-catholique, même dans un contexte institutionnel et culturel très différent de celui de l’Espagne franquiste ou de la France de l’entre-deux-guerres.
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4. Le national-catholicisme, une catégorie opératoire ?
Le terme de « national-catholicisme », bien qu’historiquement connoté, peut ici être utilisé de manière heuristique pour désigner une configuration idéologique où l’autorité politique se légitime par un référent religieux, dans une optique organiciste et hiérarchique. Cette doctrine se distingue à la fois du théocratisme pur (qui subordonne totalement le politique au religieux) et du césaro-papisme (qui instrumentalise le religieux au service de l’État), pour proposer une symbiose normative entre nation, Église et État.
Dans le cas de Vance, cette symbiose ne passe pas par une alliance formelle avec l’Église catholique américaine, souvent critique de son projet. Elle s’exprime plutôt par la mobilisation de concepts catholiques (loi naturelle, subsidiarité, ordre moral) dans le champ politique, au service d’une nation conçue comme une communauté morale unifiée.
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5. Conclusion : vers un catholicisme politique américain ?
La trajectoire de J. D. Vance révèle l’émergence d’un nouveau paradigme conservateur aux États-Unis, qui rompt avec l’individualisme libertarien de la droite reaganienne. Ce paradigme s’inspire de la doctrine sociale de l’Église tout en l’hybridant avec un nationalisme populiste. Le résultat est une forme de national-catholicisme sui generis, sans tradition monarchique ni magistère dominant, mais animé par une volonté de restaurer un ordre moral perdu.
S’il est encore trop tôt pour parler d’un courant structuré, les éléments doctrinaux mobilisés par Vance justifient une attention théorique renouvelée au lien entre religion et politique dans les démocraties occidentales en crise.