Mia Couto et l'invisible



Dans Le Cartographe des absences, l’écrivain mozambicain Mia Couto nous convie à un voyage à la fois intime et historique, à travers les terres fragmentées de la mémoire, de l’identité et de la perte. À la croisée du récit personnel et de l’histoire collective, ce roman paru en 2022 en français chez Métailié s’inscrit dans la veine poétique et métaphorique caractéristique de l’auteur.

Un retour au pays des origines

Le roman suit Diogo Santiago, poète mozambicain exilé au Brésil depuis de nombreuses années, de retour à Beira, sa ville natale, après le passage d’un cyclone. Ce retour forcé par la mort de son père rouvre des blessures enfouies et ravive des questionnements liés à l’histoire coloniale du Mozambique, à l’amour et à la filiation.

En explorant les ruines de sa maison familiale, Diogo tente de "cartographier les absences" : les vides laissés par les morts, les silences de l’histoire, les oublis volontaires ou inconscients. Le roman s’inscrit dans une démarche de reconstitution : non pas tant des faits historiques que des ressentis, des zones d’ombre, de ces lieux intérieurs marqués par l’exil, la honte ou l’oubli.

Entre poésie et politique

Comme souvent chez Mia Couto, la langue se fait matière vivante. Il mêle prose poétique et jeux de mots pour créer un monde où les frontières entre réel et imaginaire s’estompent. Cette écriture organique traduit les tensions du Mozambique postcolonial, mais aussi les questionnements universels sur l’héritage, la mémoire et l’identité.

L’histoire personnelle de Diogo s’entrelace avec celle de la lutte anticoloniale, évoquant les ambiguïtés de certains engagements, les trahisons et les zones grises de l’histoire officielle. À travers les figures féminines fortes et les fantômes du passé, le roman interroge aussi la façon dont les récits sont transmis, manipulés ou effacés.

Une cartographie de l’invisible

Le titre du roman prend tout son sens : il s’agit bien de dresser la carte de ce qui manque, de ce qui a été tu. Cette entreprise, profondément littéraire, devient un acte politique. Mia Couto n’impose pas de vérité unique, mais invite à une forme d’écoute — de soi, des autres, de la terre même, abîmée par les cyclones naturels et humains.

Le Cartographe des absences est une œuvre dense, méditative, où chaque mot semble pesé, chaque image chargée d’un symbolisme profond. C’est aussi un texte de réconciliation, non pas avec un passé idéalisé, mais avec ses blessures inévitables.





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