L'hexagone de Saturne
Chapitre I — Le Vortex
L’expédition Janus IX avait été lancée en toute discrétion par l’Agence Spatiale Internationale. Leur objectif officiel : étudier les anomalies météorologiques du pôle nord de Saturne. En vérité, depuis 2034, les données transmises par la sonde Cassini avaient été recodées, chiffrées, et soigneusement archivées. Les images montraient quelque chose d'impossible : l’Hexagone, formation nuageuse géométrique aux contours parfaits, semblait abriter un phénomène non-atmosphérique, presque… technologique.
À bord du vaisseau, le commandant Elena Turov observait la formation tourbillonner sous ses yeux. Le vortex semblait profond, comme une spirale géante s’enfonçant dans l’atmosphère. Les capteurs optiques filmaient en continu, mais ce que l’œil humain percevait défiait la raison. Les couleurs viraient au bleu électrique, et des éclairs silencieux crépitaient en son centre. Le physicien norvégien Harald Nyberg murmura :
— Ce n’est pas une tempête… C’est un passage.
À 23h47, l’IA de bord confirma une perte d’altitude involontaire. Le vaisseau semblait attiré par une force gravitationnelle inconnue. Le silence régnait dans le cockpit lorsque le vaisseau Janus IX franchit le bord du vortex hexagonal. Et tout bascula.
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Chapitre II — Le Miroir du Monde
Ils ne s’écrasèrent pas. À l’inverse, ils émergèrent dans une lumière douce, irréelle. Le vaisseau était suspendu au-dessus d’un paysage inimaginable : une mer d’étoiles figées, des continents transparents flottant dans le vide, et un ciel où les constellations étaient disposées selon des géométries sacrées.
Un être les attendait. Ni humanoïde ni créature, mais une conscience visible, faite de lumière et de rythme. Elle leur parla sans mot, par transmission directe de pensée :
— Bienvenue dans le Limbus. Vous avez franchi l’Œil. Peu d’esprits incarnés en sont capables.
Elena sentit une terreur mystique l’envahir. Le Limbus semblait être une interface entre mondes, un lieu hors du temps, où les civilisations oubliées laissaient leurs archives.
Harald s’émerveilla en découvrant que certaines structures correspondaient aux anciens mythes sumériens, d’autres aux temples égyptiens, mais sous des formes inversées, comme si toutes les cosmogonies humaines n’étaient que des échos de ce monde primordial.
— Tout ce que nous avons rêvé, murmura-t-il, existe ici… ou y a pris racine.
Mais le Limbus n’était pas sans prix. Le passage ouvrait, disait l’être de lumière, une faille dans l'équilibre des mondes. En entrant, ils avaient éveillé quelque chose d’ancien, quelque chose qui n’attendait qu’un regard humain pour revenir.
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Chapitre III — Ce Qui Dort Sous Saturne
Le retour était impossible. Le Janus IX se désintégra lentement dans le Limbus, absorbé comme une peau morte par un organisme vivant. L’équipage, séparé, fut confronté à ses souvenirs les plus intimes, comme si le monde les jugeait.
Elena, seule, vit apparaître une cité noire, cyclopéenne, dormante sous un anneau inversé. Là résidait une entité : le Gardien d’Hexaon, une conscience vieille comme les nébuleuses, enfermée sous Saturne depuis l’aube du système solaire. L’Hexagone n’était pas une prison, mais un verrou.
Leur venue avait été prévue. Chaque millénaire, un esprit nouveau était tenté d’ouvrir la porte, croyant y découvrir la vérité de l’univers. Mais la vérité était affamée.
Le Gardien parla enfin :
— Vous m'avez vu. Maintenant, je vous vois.
L’univers vibra. Des satellites sur Terre captèrent une anomalie gravitationnelle. L’Hexagone s’ouvrit davantage. Un filet noir s’en échappa.
L’expédition Janus IX ne revint jamais. Mais l’humanité ne tarda pas à sentir son héritage. Les rêves changèrent. Des enfants naquirent avec des visions étranges. Et dans les pôles terrestres, des formes géométriques apparurent, gravées dans la glace, rappelant la silhouette impassible de l’Hexagone.