Platon et l'Église catholique
La pensée de Platon a exercé une influence considérable sur la tradition chrétienne, et en particulier sur l’Église catholique, mais cette influence a été complexe, ambivalente, et évolutive à travers les siècles. Voici un aperçu historique structuré par grandes périodes :
Les Pères de l’Église ont souvent vu en Platon un philosophe « proche » du christianisme, voire un précurseur partiel de la Révélation :
Justin Martyr, Clément d’Alexandrie et Origène louent Platon pour sa conception du monde intelligible, de l’âme immortelle, et de la transcendance du Bien. Ils y voient une préparation naturelle à la foi chrétienne.
Augustin d’Hippone, formé au néoplatonisme (Plotin et Porphyre), a été profondément influencé par Platon. Il considère que la philosophie platonicienne est la plus proche du christianisme. Il écrit :
« Il y a peu de différence entre les platoniciens et nous, sauf que [nous savons] où se trouve la Vérité. »
Cependant, des réserves apparaissent : Origène ou Augustin rejettent les doctrines réincarnationnistes ou la préexistence des âmes.
Au Moyen Âge, l’aristotélisme, via Averroès et surtout Thomas d’Aquin, devient dominant. Mais le platonisme ne disparaît pas :
Boèce transmet à l’Occident des idées platoniciennes via sa Consolation de la philosophie.
Jean Scot Érigène (IXe siècle) développe une cosmologie néoplatonicienne fortement teintée de mysticisme.
Bonaventure, au XIIIe siècle, défend une vision franciscaine et plus platonicienne du monde, insistant sur la lumière divine, les Idées en Dieu, et la participation de l’âme à l’Être.
Thomas d’Aquin, tout en étant aristotélicien, reconnaît des mérites à Platon mais critique sa théorie des Idées séparées comme incompatible avec la doctrine chrétienne de la création.
Le platonisme de la Renaissance connaît un renouveau grâce à Marsile Ficin, qui traduit Platon en latin et fonde l’Académie néoplatonicienne de Florence. Il propose une synthèse Platon–Christianisme.
Le Concile de Florence (1438-1445) est marqué par une tentative de rapprochement entre chrétiens d’Orient et d’Occident, dans un contexte où les influences platoniciennes sont valorisées (via la patristique grecque).
Certains penseurs catholiques humanistes, comme Pico della Mirandola, adoptent des idées platoniciennes et cabalistiques dans une perspective de « sagesse universelle ».
À l’époque de la Contre-Réforme, l’Église devient plus méfiante envers les spéculations métaphysiques qui pourraient mener à l’hérésie.
Le jésuite Francisco Suárez (XVIe s.) reste fidèle à une synthèse aristotélico-thomiste, moins accueillante au platonisme.
Le romantisme religieux du XIXe siècle (Joseph de Maistre, Lamennais, etc.) retrouve un certain goût pour le platonisme, en lien avec la mystique, l’intuition de l’Absolu, et la défense de la foi contre le rationalisme.
Des penseurs catholiques comme Jacques Maritain ou Étienne Gilson reconnaissent l’influence positive de Platon, mais insistent sur la supériorité de l’aristotélisme dans le cadre de la pensée chrétienne.
Le néoplatonisme chrétien reste présent chez des théologiens comme Henri de Lubac, Jean Daniélou, ou Hans Urs von Balthasar, qui valorisent la dimension mystique et symbolique de Platon.
Le Catéchisme de l’Église catholique ne cite pas explicitement Platon, mais sa doctrine sur l’âme immortelle, le Bien transcendant, et la participation à l’Être reste compatible avec certaines idées chrétiennes.
L’Église catholique a toujours entretenu une relation ambivalente avec Platon. D’un côté, elle admire sa quête de l’Absolu, sa métaphysique de l’Être, sa doctrine de l’âme, et sa vision morale de l’existence. De l’autre, elle rejette certaines doctrines incompatibles avec la foi chrétienne : la réincarnation, l’éternité du monde, ou la séparation radicale entre le monde sensible et le monde intelligible.
Platon a donc été lu comme un "paganus praeparator", un philosophe païen qui, sans connaître le Christ, a pu approcher certaines vérités par la raison. C’est dans cette lumière qu’il a été partiellement intégré à la théologie catholique, sans jamais y être pleinement assimilé.