Le dernier burger
Il était 16h07, un jeudi, quand Robert réalisa que la vie ne valait même plus la peine de se gratter les couilles.
Il était assis nu sur son lit, un slip usé en guise de chapeau. Le ventilateur grinçait comme une vieille pute arthritique. Une canette de bière tiède collait à sa cuisse. Il avait lu l’étiquette d’un shampooing pendant vingt bonnes minutes, et ça n’avait même pas été la partie la plus triste de sa journée.
Il se leva, gratta son ventre poilu, rotta longuement, puis dit à haute voix :
— McDo.
C’était plus un gémissement qu’une décision. Il ne savait pas vraiment pourquoi. Il n’avait pas faim. Il n’avait pas d’envie. Il avait juste besoin de faire quelque chose avant de se transformer en meuble.
Alors il mit un short, sans caleçon. Il se foutait du reste. Il claqua la porte. Direction le temple de la graisse.
Le McDonald's était climatisé à s’en geler les tétons.
Robert entra comme un roi déglingué dans son palais de néons. Il alla direct à la borne, appuya sur tout ce qui brillait. Il avait décidé de se faire péter le bide, de se niquer la panse, de se remplir à ras bord comme une baignoire de merde.
Il commanda trois Big Mac, deux McChicken, un Royal Deluxe, une boîte de 40 nuggets, deux grandes frites, trois glaces, un milkshake, et un Coca light, « parce que faut faire gaffe à la ligne », gloussa-t-il en rotant.
Il s’installa près de la vitre. Un coin stratégique : s’il devait crever, il voulait qu’on le voie.
Il mangea comme une bête. Il déchiqueta les burgers à pleines mains, suçait les sauces comme un obsédé, avalait les frites par grappes. Il était en transe. L’huile, le sucre, le gras — tout ça fondait dans son cerveau comme une drogue molle. Son short s’ouvrait tout seul, ses aisselles coulaient, ses yeux s’embuaient.
À un moment, une femme avec des enfants le regarda avec un mélange d’horreur et de respect. Il lui fit un clin d’œil gras.
Il continua.
Il était plein. Plein comme une citerne. Plein comme un cercueil en mousse. Il n’était plus un homme, il était un container de gras. Il transpirait de la sauce.
Mais il voulait un dernier Sundae. Par fierté. Par principe.
Il le mangea d’un trait. Et là, quelque chose craqua.
Une douleur. Sèche. Immédiate. Une alarme dans le bide. Le genre de signal qu’envoie le corps quand il a compris qu’il est foutu.
Il se leva, vacilla. Le monde tournait. Il sentait ses boyaux bouillir. Des crampes, des spasmes. Quelque chose poussait à l’intérieur, comme un démon en train de creuser un tunnel vers la sortie.
Il lâcha un pet. Un long. Grave. Prophétique.
Il courut (enfin, trottina) vers les toilettes, mais trop tard.
Trop. Tard.
Dans un cri muet, il explosa.
Littéralement.
Un torrent de merde jaillit de son short comme une explosion volcanique. Ça éclaboussa les murs, le sol, les vitres. Les clients hurlèrent. Une vieille glissa sur une flaque de diarrhée et s’évanouit. Un enfant pleura du ketchup en voyant le spectacle.
Robert s’effondra dans sa mare personnelle, les bras en croix, le regard vers le ciel climatisé. Un sourire aux lèvres.
Il avait atteint quelque chose de transcendant.
La grande vidange de l’âme.
Un agent de nettoyage dira plus tard :
— J’ai vu des trucs, mais ça… ça, c’était biblique.