L'Exil, roman (101)



On ne savait plus très bien comment cela avait commencé. Était-ce un mot jeté sur la place, un regard mal interprété, ou bien la rancune d’un voisin ? Toujours est-il que, quelques jours après son retour du camp des Gètes, Ovide fut convoqué devant le conseil de la cité.

La salle où siégeaient les notables était basse, mal éclairée. Des torches fumaient aux murs, donnant aux visages une apparence monstrueuse. Ovide, debout, se sentit plus prisonnier que jamais. On lui posa des questions auxquelles il n’avait pas de réponse.
— Qu’as-tu réellement dit aux barbares ?
— Pourquoi ne t’ont-ils pas tué ?
— Quelle promesse leur as-tu faite ?

Il répondit comme il put, d’une voix tremblante mais claire, qu’il n’avait rien promis, qu’il n’était qu’un messager malgré lui. Mais plus il parlait, plus il voyait les visages se fermer. Les phrases qu’il croyait limpides semblaient, aux oreilles des juges, tourner en pièges contre lui.

Le vétéran balafré, qui jadis l’avait désigné pour cette mission, resta silencieux, presque indifférent. Ce silence pesait plus que l’accusation.

On le laissa repartir, mais il comprit aussitôt qu’il était marqué. Dans les rues, les regards se détournaient. Les enfants, autrefois curieux de cet étranger aux habits singuliers, s’enfuyaient dès qu’il approchait. Les femmes fermaient leurs portes. Et chaque soir, au moment où les torches s’allumaient sur les palissades, Ovide croyait entendre son nom chuchoté dans l’ombre, associé à celui des Gètes.

Il vécut alors dans une inquiétude sourde, comme si un jugement invisible se préparait, sans date, sans forme, mais certain. Chaque bruit de pas devant sa maison, chaque grincement de porte le faisait sursauter. Il commença à douter de lui-même : avait-il, sans le savoir, prononcé une parole de trop ? Ses souvenirs de l’entrevue avec les barbares se troublaient. Peut-être avait-il laissé échapper un mot, un geste ?

Ainsi, le poète se retrouvait dans la situation la plus absurde : il n’avait commis aucune faute, et pourtant il se sentait coupable. Rome l’avait condamné pour des raisons obscures ; Tomis, à son tour, semblait vouloir lui donner un procès dont le verdict, déjà inscrit dans les regards, ne dépendait plus de rien.

Une nuit, il rêva qu’il se tenait devant une assemblée immense, formée de Romains et de barbares, de soldats et de femmes voilées. Tous attendaient qu’il parle. Mais lorsqu’il ouvrait la bouche, aucun son ne sortait. Ses lèvres bougeaient, son souffle se brisait, et l’assemblée éclatait de rire ou de colère. Alors il se réveilla, trempé de sueur, avec la sensation que ce rêve n’était pas un songe, mais une répétition de ce qui l’attendait.




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