L'Exil, roman (122)



Les jours qui suivirent furent semblables à une mer immobile sous un ciel de plomb : rien ne changeait, et pourtant tout pesait davantage. Ovide, au matin, sortait de sa cabane et fixait longtemps la steppe, comme s’il espérait y voir revenir une silhouette mince, les cheveux flottant au vent, et ce regard brûlant qui lui avait rendu, l’espace d’un instant, l’illusion d’une patrie. Mais la steppe demeurait vide, et le vent, indifférent, ne portait que des poussières et des rumeurs lointaines.

Alors, se repliant sur ce qui restait encore en lui de vivant, Ovide prit sa tablette de cire. Ses doigts, d’abord hésitants, tracèrent des mots brisés, mal ajustés, comme si la douleur retenait le flux naturel du vers. Puis, à mesure que la fièvre de l’écriture s’emparait de lui, la plainte se transforma en chant.

Il ne nomma pas son amour disparu. Non — il la fit naître dans ses poèmes sous une figure plus vaste, plus insaisissable : tantôt nymphe enlevée par des barbares, tantôt Eurydice s’éloignant dans les ombres, tantôt prêtresse sacrifiée au bord d’un autel sanglant. Il la vêtit de tous les masques que la poésie offre aux morts aimés, comme pour lui rendre, par l’éclat du mythe, la dignité que l’exil et la violence lui avaient refusée.

Ses vers, au lieu de se plaindre seulement, inventaient une géographie nouvelle : fleuve qui devient amant jaloux, forêt qui enferme, torches qui se changent en étoiles vengeresses. Tout ce qu’il avait vu — les torches de cette nuit fatale, le clapotement du Danube, les pas furtifs sur la terre humide — se métamorphosait sous sa plume en une matière sacrée.

Et, dans l’élan de cette transfiguration, Ovide crut éprouver une vérité plus haute que son malheur : que l’amour n’est jamais perdu tant qu’il se laisse inscrire dans les mots. La femme s’était dérobée — morte, trahie ou disparue — mais le chant, lui, survivait, et dans ce chant elle redevenait incorruptible.

Pourtant, chaque fois qu’il reposait le stylet, le silence de Tomes retombait sur lui, lourd comme une chape. Alors il se disait que peut-être ses vers, qu’il croyait offerts à l’éternité, ne seraient jamais lus, que Rome les ignorerait, et qu’ils s’effaceraient avec lui dans l’oubli glacé de cette rive. Mais l’instant d’avant, tandis qu’il écrivait, il avait cru l’entendre respirer de nouveau, assise à ses côtés. Et cela suffisait.





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